je pense que celle du mien ne lui sert à rien ; elle a l’air d’une bonne grosse bourgeoise, et quand elle se trouve au château, dans les salons… Il se pinça les lèvres. Les hommes très-occupés ont des idées si fausses en ménage, qu’on peut également leur faire croire qu’avec cent mille francs on n’a rien, et qu’avec douze mille francs on a tout.
Quoique très-impatiemment attendu, malgré les flatteries préparées pour ses appétits de gourmet émérite, des Lupeaulx ne vint pas dîner, il ne se montra que très-tard dans la soirée, à minuit, heure à laquelle la causerie devient, dans tous les salons, plus intime et confidentielle. Andoche Finot, le journaliste, était resté.
— Je sais tout, dit des Lupeaulx quand il fut bien assis sur la causeuse au coin du feu, sa tasse de thé à la main, madame Rabourdin debout devant lui, tenant une assiette pleine de sandwiches et de tranches d’un gâteau bien justement nommé gâteau de plomb. Finot, mon cher et spirituel ami, vous pourrez rendre service à notre gracieuse reine en lâchant quelques chiens après des hommes de qui nous causerons. Vous avez contre vous, dit-il à monsieur Rabourdin en baissant la voix pour n’être entendu que des trois personnes auxquelles il s’adressait, des usuriers et le clergé, l’argent et l’Église. L’article du journal libéral a été demandé par un vieil escompteur à qui l’on avait des obligations, mais le petit bonhomme qui l’a fait s’en soucie peu. La rédaction en chef de ce journal change dans trois jours, et nous reviendrons là-dessus. L’opposition royaliste, car nous avons, grâce à M. de Châteaubriand, une opposition royaliste, c’est-à-dire qu’il y a des Royalistes qui passent aux Libéraux, mais ne faisons pas de haute politique ; ces assassins de Charles X m’ont promis leur appui en mettant pour prix à votre nomination notre approbation à un de leurs amendements. Toutes mes batteries sont dressées. Si l’on nous impose Baudoyer, nous dirons à la Grande-Aumônerie : « Tel et tel journal et messieurs tels et tels attaqueront la loi que vous voulez, et toute la presse sera contre (car les journaux ministériels que je tiens seront sourds et muets, ils n’auront pas de peine à l’être, ils le sont assez, n’est-ce pas, Finot ?) Nommez Rabourdin, et vous aurez l’opinion pour vous. » Pauvres Bonifaces de gens de province qui se carrent dans leurs fauteuils au coin du feu, très-heureux de l’indépendance des organes de l’Opinion, ah ! ah !
— Hi, hi, hi ! fit Andoche Finot.