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— Je ne pense qu’à ton élévation, et il était temps, mon pauvre ami !… reprit Célestine. Mais tu prends le chien de chasse pour le gibier, dit-elle après une pause. Dans quelques jours des Lupeaulx aura très-bien accompli sa mission. Pendant que tu cherches à parler au ministre, et avant que tu ne puisses le voir, moi je lui aurai parlé. Tu as sué sang et eau pour enfanter un plan que tu me cachais ; et, en trois mois, ta femme aura fait plus d’ouvrage que toi en six ans. Dis-moi ton beau système ?

Rabourdin, tout en se faisant la barbe et après avoir obtenu de sa femme de ne pas dire un seul mot de ses travaux, en la prévenant que confier une seule idée à des Lupeaulx c’était mettre le chat à même la jatte de lait, commença l’explication de ses travaux.

— Comment, Rabourdin, ne m’as-tu pas parlé de cela ? dit Célestine en coupant la parole à son mari dès la cinquième phrase. Mais tu te serais épargné des peines inutiles. Que l’on soit aveuglé pendant un moment par une idée, je le conçois ; mais pendant six ou sept ans, voilà ce que je ne conçois pas. Tu veux réduire le budget, c’est l’idée vulgaire et bourgeoise ! Mais il faudrait arriver à un budget de deux milliards, la France serait deux fois plus grande. Un système neuf, ce serait de tout faire mouvoir par l’emprunt, comme le crie monsieur de Nucingen. Le trésor le plus pauvre est celui qui se trouve plein d’écus sans emploi ; la mission d’un ministère des finances est de jeter l’argent par les fenêtres, il lui rentre par ses caves, et tu veux lui faire entasser des trésors ! Mais il faut multiplier les emplois au lieu de les réduire. Au lieu de rembourser les rentes, il faudrait multiplier les rentiers. Si les Bourbons veulent régner en paix, ils doivent créer des rentiers dans les dernières bourgades, et surtout ne pas laisser les étrangers toucher des intérêts en France, car ils nous en demanderont un jour le capital ; tandis que si toute la rente est en France, ni la France ni le crédit ne périront. Voilà ce qui a sauvé l’Angleterre. Ton plan est un plan de petite bourgeoise. Un homme ambitieux n’aurait dû se présenter devant son ministre qu’en recommençant Law sans ses chances mauvaises, en expliquant la puissance du crédit, en démontrant comme quoi nous ne devons pas amortir le capital, mais les intérêts, comme font les Anglais…

— Allons, Célestine, dit Rabourdin, mêle toutes les idées ensemble, contrarie-les ; amuse-t’en comme de joujoux ! je suis ha-