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quarante ans, coquette comme la Zerline de l’opéra de Don Juan, et auprès de laquelle se tenait Isaure : « La voiture de madame la baronne est avancée. » Godefroid vit alors sa beauté de ballade allemande entraînant sa mère fantastique dans le salon de partance, où ces deux dames furent suivies par Malvina. Godefroid, qui feignit (l’enfant !) d’aller savoir dans quel pot de confitures s’était blotti Joby, eut le bonheur d’apercevoir Isaure et Malvina embobelinant leur sémillante maman dans sa pelisse, et se rendant ces petits soins de toilette exigés par un voyage nocturne dans Paris. Les deux sœurs l’examinèrent du coin de l’œil en chattes bien apprises, qui lorgnent une souris sans avoir l’air d’y faire attention. Il éprouva quelque satisfaction en voyant le ton, la mise, les manières du grand Alsacien en livrée, bien ganté, qui vint apporter de gros souliers fourrés à ses trois maîtresses. Jamais deux sœurs ne furent plus dissemblables que l’étaient Isaure et Malvina. L’aînée, grande et brune, Isaure petite et mince ; celle-ci les traits fins et délicats ; l’autre des formes vigoureuses et prononcées ; Isaure était la femme qui règne par son défaut de force, et qu’un lycéen se croit obligé de protéger ; Malvina était la femme « d’Avez-vous vu dans Barcelone ? » À côté de sa sœur, Isaure faisait l’effet d’une miniature auprès d’un portrait à l’huile. « Elle est riche ! dit Godefroid à Rastignac en rentrant dans le bal. — Qui ? — Cette jeune personne. — Ah ! Isaure d’Aldrigger. Mais oui. La mère est veuve, son mari a eu Nucingen dans ses bureaux à Strasbourg. Veux-tu la revoir, tourne un compliment à madame de Restaud, qui donne un bal après-demain, la baronne d’Aldrigger et ses deux filles y seront, tu seras invité ! » Pendant trois jours dans la chambre obscure de son cerveau, Godefroid vit son Isaure et les camélias blancs, et les airs de tête, comme lorsqu’après avoir contemplé long-temps un objet fortement éclairé, nous le retrouvons les yeux fermés sous une forme moindre, radieux et coloré, qui pétille au centre des ténèbres.

— Bixiou, tu tombes dans le phénomène, masse-nous des tableaux ? dit Couture.

— Voilà ! reprit Bixiou en se posant sans doute comme un garçon de café, voilà, messieurs, le tableau demandé ! Attention, Finot ! il faut tirer sur ta bouche comme un cocher de coucou sur celle de sa rosse ! Madame Théodora-Marguerite-Wilhelmine Adolphus (de la maison Adolphus et compagnie de Manheim), veuve du baron d’Aldrigger, n’était pas une bonne grosse Allemande, compacte et