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— Quel temps, dit Finot, que le temps où les grands seigneurs habillaient les danseuses !

Improper ! reprit Bixiou. Isaure ne s’élevait pas sur ses pointes, elle restait terre à terre, se balançait sans secousses, ni plus ni moins voluptueusement que doit se balancer une jeune personne. Marcel disait avec une profonde philosophie que chaque état avait sa danse : une femme mariée devait danser autrement qu’une jeune personne, un robin autrement qu’un financier, et un militaire autrement qu’un page ; il allait même jusqu’à prétendre qu’un fantassin devait danser autrement qu’un cavalier ; et, de là il partait pour analyser toute la société. Toutes ces belles nuances sont bien loin de nous.

— Ah ! dit Blondet, tu mets le doigt sur un grand malheur. Si Marcel eût été compris, la Révolution française n’aurait pas eu lieu.

— Godefroid, reprit Bixiou, n’avait pas eu l’avantage de parcourir l’Europe sans observer à fond les danses étrangères. Sans cette profonde connaissance en chorégraphie, qualifiée de futile, peut-être n’eût-il pas aimé cette jeune personne ; mais des trois cents invités qui se pressaient dans les beaux salons de la rue Saint-Lazare, il fut le seul à comprendre l’amour inédit que trahissait une danse bavarde. On remarqua bien la manière d’Isaure d’Aldrigger ; mais, dans ce siècle où chacun s’écrie : Glissons, n’appuyons pas ! l’un dit : Voilà une jeune fille qui danse fameusement bien (c’était un clerc de notaire) ; l’autre : Voilà une jeune personne qui danse à ravir (c’était une dame en turban) ; la troisième, une femme de trente ans : Voilà une petite personne qui se danse pas mal ! Revenons au grand Marcel, et disons en parodiant son plus fameux mot : Que de choses dans un avant-deux !

— Et allons un peu plus vite ! dit Blondet, tu marivaudes.

— Isaure, reprit Bixiou qui regarda Blondet de travers, avait une simple robe de crêpe blanc ornée de rubans verts, un camélia dans ses cheveux, un camélia à sa ceinture, un autre camélia dans le bas de sa robe, et un camélia…

— Allons, voilà les trois cents chèvres de Sancho !

— C’est toute la littérature, mon cher ! Clarisse est un chef-d’œuvre, il a quatorze volumes, et le plus obtus vaudevilliste te le racontera dans un acte. Pourvu que je l’amuse, de quoi te plains-tu ? Cette toilette était d’un effet délicieux, est-ce que tu n’aimes pas le camélia ? veux-tu des dalhias ? Non. Eh ! bien, un marron, tiens !