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étaient cachées, assaillaient ce ministre, au retour d’une bataille parlementaire, d’une lutte avec les secrètes imbécillités de la cour, ou à la veille d’un combat avec l’esprit public, ou le lendemain d’une question diplomatique qui avait déchiré le Conseil en trois opinions. Dans cette situation, un homme d’État tient naturellement un bâillement tout prêt au service de la première phrase où il s’agit de mieux ordonner la chose publique. Il ne se faisait pas alors de dîner où les plus audacieux spéculateurs, où les hommes des coulisses financières et politiques, ne résumassent en un mot profond les opinions de la Bourse et de la Banque, celles surprises à la diplomatie, et les plans que comportait la situation de l’Europe. Le ministre avait d’ailleurs en des Lupeaulx et son secrétaire particulier, un petit conseil pour ruminer cette nourriture, pour contrôler et analyser les intérêts qui parlaient par tant de voix habiles. En effet, son malheur, qui sera celui de tous les ministres sexagénaires, était de biaiser avec toutes les difficultés avec le journalisme que l’on voulait en ce moment amortir sourdement au lieu de l’abattre franchement ; avec la question financière, comme avec les questions d’industrie ; avec le clergé comme avec la question des biens nationaux ; avec le Libéralisme comme avec la Chambre. Après avoir tourné le pouvoir en sept ans, le ministre croyait pouvoir tourner ainsi toutes les questions. Il est si naturel de vouloir se maintenir par les moyens qui servirent à s’élever, que nul n’osait blâmer un système inventé par la médiocrité pour plaire à des esprits médiocres. La Restauration de même que la Révolution polonaise ont su démontrer, aux nations comme aux princes, ce que vaut un homme, et ce qui arrive quand il leur manque. Le dernier et le plus grand défaut des hommes d’État de la Restauration fut leur honnêteté dans une lutte où leurs adversaires employaient toutes les ressources de la friponnerie politique, le mensonge et les calomnies, en déchaînant contre eux, par les moyens les plus subversifs, les masses inintelligentes, habiles seulement à comprendre le désordre.

Rabourdin s’était dit tout cela. Mais il venait de se décider à jouer le tout pour le tout, comme un homme qui lassé par le jeu ne s’accorde plus qu’un coup ; or, le hasard lui donnait un tricheur pour adversaire en la personne de des Lupeaulx. Néanmoins, quelle que fut sa sagacité, le Chef de Bureau, plus savant en administration qu’en optique parlementaire, n’imaginait pas toute la vérité :