vrais principes de la monarchie, car elle le conduisit comme un grand roi. Après dix ou douze années de luttes parlementaires, après avoir ressassé la politique et s’y être harassé, ce ministre avait été véritablement intronisé par un parti qui le considérait comme son homme d’affaires. Heureusement pour lui-même, il approchait plus de soixante ans que de cinquante ; s’il avait conservé quelque vigueur juvénile, il aurait été promptement brisé. Mais, habitué à rompre, à faire retraite, à revenir à la charge, il pouvait se laisser frapper tour à tour par son parti, par l’Opposition, par la cour, par le clergé, en leur opposant la force d’inertie d’une matière à la fois molle et consistante ; enfin, il avait les bénéfices de son malheur. Gehenné dans mille questions de gouvernement, comme est le jugement d’un vieil avocat après avoir tout plaidé, son esprit ne possédait plus ce vif que gardent les esprits solitaires, ni cette prompte décision des gens accoutumés de bonne heure à l’action, et qui se distingue chez les jeunes militaires. Pouvait-il en être autrement ? il avait constamment chicané au lieu de juger, il avait critiqué les effets sans assister aux causes, il avait surtout la tête pleine des mille réformes qu’un parti lance à son chef, des programmes que les intérêts privés apportent à un orateur d’avenir, en l’embarrassant de plans et de conseils inexécutables. Loin d’arriver frais, il était arrivé fatigué de ses marches et contre-marches. Puis en prenant position sur la sommité tant désirée, il s’y était accroché à mille buissons épineux, il y avait trouvé mille volontés contraires à concilier. Si les hommes d’État de la Restauration avaient pu suivre leurs propres idées, leurs capacités seraient sans doute moins exposées à la critique, mais si leurs vouloirs furent entraînés, leur âge les sauva en ne leur permettant plus de déployer cette résistance qu’on sait opposer au début de la vie à ces intrigues à la fois basses et élevées qui vainquirent quelquefois Richelieu, et auxquelles, dans une sphère moins élevée, Rabourdin allait se prendre. Après les tiraillements de leurs premières luttes, ces gens, moins vieux que vieillis, eurent les tiraillements ministériels. Ainsi leurs yeux se troublaient déjà quand il fallait la perspicacité de l’aigle, leur esprit était lassé quand il fallait redoubler de verve. Le ministre à qui Rabourdin voulait se confier, entendait journellement des hommes d’une incontestable supériorité lui exposant les théories les plus ingénieuses, applicables ou inapplicables aux affaires de la France. Ces gens à qui les difficultés de la politique générale
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