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rière libre et indépendante dans laquelle, en douze années, un jeune homme, ayant fait ses humanités, vacciné, libéré du service militaire, jouissant de ses facultés, sans avoir une intelligence transcendante, n’ait amassé un capital de quarante-cinq mille francs et de centimes, représentant la rente perpétuelle de notre traitement essentiellement transitoire, car il n’est pas même viager. Dans cette période, un épicier doit avoir gagné dix mille francs de rentes, avoir déposé son bilan, ou présidé le tribunal de commerce. Un peintre a badigeonné un kilomètre de toile, il doit être décoré de la Légion-d’Honneur, ou se poser en grand homme inconnu. Un homme de lettres est professeur de quelque chose, ou journaliste à cent francs pour mille lignes, il écrit des feuilletons, ou se trouve à Sainte-Pélagie après un pamphlet lumineux qui mécontente les Jésuites, ce qui constitue une valeur énorme et en fait un homme politique. Enfin, un oisif, qui n’a rien fait, car il y a des oisifs qui font quelque chose, a fait des dettes et une veuve qui les lui paye. Un prêtre a eu le temps de devenir évêque in partibus. Un vaudevilliste est devenu propriétaire, quand il n’aurait jamais fait, comme du Bruel, de vaudevilles entiers. Un garçon intelligent et sobre, qui aurait commencé l’escompte avec un très-petit capital, comme mademoiselle Thuillier, achète alors un quart de charge d’agent de change. Allons plus bas ! Un petit clerc est notaire, un chiffonnier a mille écus de rentes, les plus malheureux ouvriers ont pu devenir fabricants ; tandis que, dans le mouvement rotatoire de cette civilisation qui prend la division infinie pour le progrès, un Chazelle a vécu à vingt-deux sous par tête !… — se débat avec son tailleur et son bottier ! — a des dettes ! — n’est rien ! Et s’est crétinisé ! Allons ! messieurs ? un beau mouvement ! Hein ? donnons tous nos démissions !… Fleury, Chazelle, jetez-vous dans d’autres parties ? et devenez-y deux grands hommes !…

CHAZELLE (calmé par le discours de Bixiou).

Merci. (Rire général.)

BIXIOU.

Vous avez tort, dans votre situation je prendrais les devants sur le Secrétaire-général.

CHAZELLE (inquiet).

Et qu’a-t-il donc à me dire ?

BIXIOU.

Odry vous dirait, Chazelle, avec plus d’agrément que n’en met-