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Colleville qui se donne un mal de galérien en dehors du Bureau, qui pourrait gagner, s’il perdait sa place, plus que ses appointements, rien qu’en montrant la musique, eh ! bien, il aime mieux sa place. Que diantre, on n’abandonne pas ses espérances.

CHAZELLE (continuant sa philippique).

Lui, mais pas moi ! Nous n’avons plus de chances ? Parbleu ! il fut un temps où rien n’était plus séduisant que la carrière administrative. Il y avait tant d’hommes aux armées qu’il en manquait pour l’administration. Les gens édentés, blessés à la main, au pied, de santé mauvaise, comme Paulmier, les myopes obtenaient un rapide avancement. Les familles, dont les enfants grouillaient dans les lycées, se laissaient alors fasciner par la brillante existence d’un jeune homme en lunettes, vêtu d’un habit bleu, dont la boutonnière était allumée par un ruban rouge, et qui touchait un millier de francs par mois, à la charge d’aller quelques heures dans un Ministère quelconque, y surveiller quelque chose, y arrivant tard et partant tôt, ayant, comme lord Byron, des heures de loisir et faisant des romances, se promenant aux Tuileries, doué d’un petit air rogue, se faisant voir partout, au spectacle, au bal, admis dans les meilleures sociétés, dépensant ses appointements, rendant ainsi à la France tout ce que la France lui donnait, rendant même des services. En effet, les employés étaient alors, comme Thuillier, cajolés par de jolies femmes, ils paraissaient avoir de l’esprit, ils ne se lassaient point trop dans les Bureaux. Les impératrices, les reines, les princesses, les maréchales de cette heureuse époque avaient des caprices. Toutes ces belles dames avaient la passion des belles âmes : elles aimaient à protéger. Aussi pouvait-on remplir vingt-cinq ans, une place élevée, être auditeur au Conseil d’état ou maître des requêtes, et faire des rapports à l’Empereur en s’amusant avec son auguste famille. On s’amusait et l’on travaillait tout ensemble. Tout se faisait vite. Mais aujourd’hui, depuis que la Chambre a inventé la spécialité pour les dépenses, et les chapitres intitulés : Personnel ! nous sommes moins que des soldats. Les moindres places sont soumises à mille chances, car il y a mille souverains…

BIXIOU (rentrant).

Chazelle est donc fou. Où voit-il mille souverains ?… serait-ce par hasard dans sa poche ?…