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BIXIOU. (tâtant le gilet de Dutocq).

Vous avez un joli gilet qui sans doute ne vous coûte presque rien. Est-ce là le secret ?

DUTOCQ.

Comment, pour rien ! je n’ai jamais rien payé de si cher. Cela vaut six francs l’aune au grand magasin de la rue de la Paix, une belle étoffe mate qui va bien en grand deuil.

BIXIOU.

Vous vous connaissez en gravures, mais vous ignorez les lois de l’étiquette. On ne peut pas être universel. La soie n’est pas admise dans le grand deuil. Aussi n’ai-je que de la laine. Monsieur Rabourdin, monsieur Clergeot, le ministre sont tout laine ; le faubourg Saint-Germain tout laine. Il n’y a que Minard qui ne porte pas de laine, il a peur d’être pris pour un mouton, nommé Laniger en latin de Bucolique ; il s’est dispensé, sous ce prétexte, de se mettre en deuil de Louis XVIII, grand législateur, auteur de la charte et homme d’esprit, un roi qui tiendra bien sa place dans l’histoire, comme il la tenait sur le trône, comme il la tenait bien partout ; car savez-vous le plus beau trait de sa vie ? non. Eh ! bien, à sa seconde rentrée, en recevant tous les souverains alliés, il a passé le premier en allant à table.

PAULMIER (regardant Dutocq).

Je ne vois pas…

DUTOCQ (regardant Paulmier).

Ni moi non plus.

BIXIOU.

Vous ne comprenez pas ? Eh ! bien, il ne se regardait pas comme chez lui. C’était spirituel, grand et épigrammatique. Les souverains n’ont pas plus compris que vous, même en se cotisant pour comprendre ; il est vrai qu’ils étaient tous étrangers…

(Baudoyer, pendant cette conversation, est au coin de la cheminée dans le cabinet de son Sous-chef, et tous deux ils parlent à voix basse.)

BAUDOYER.

Oui, le digne homme expire. Les deux ministres y sont pour recevoir son dernier soupir, mon beau-père vient d’être averti de l’événement. Si vous voulez me rendre un signalé service, vous prendrez un cabriolet et vous irez prévenir madame Baudoyer, car monsieur Saillard ne peut quitter sa caisse et moi je n’ose laisser