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GODARD.

Moi, j’estimais les talents de monsieur de La Billardière mieux que qui que ce soit.

BIXIOU.

Vous vous compreniez !

GODARD.

Enfin, ce n’était pas un méchant homme ; il n’a jamais fait de mal à personne.

BIXIOU.

Pour faire le mal, il faut faire quelque chose, et il ne faisait rien. Si ce n’est pas vous qui l’aviez jugé tout à fait incapable, c’est donc Minard.

MINARD (en haussant les épaules).

Moi !

BIXIOU.

Hé ! bien vous, Dutocq ? (Dutocq fait un signe de violente dénégation.) Bon ! allons, personne ! Il était donc accepté par tout le monde ici pour une tête herculéenne ! Hé ! bien, vous aviez raison : il a fini en homme d’esprit, de talent, de tête, enfin comme un grand homme qu’il était.

DESROYS (impatienté).

Mon Dieu, qu’a-t-il fait de si grand ? il s’est confessé !

BIXIOU.

Oui, monsieur, et il a voulu recevoir les saints sacrements. Mais pour les recevoir, savez-vous comment il s’y est pris ? il a mis ses habits de Gentilhomme ordinaire de la chambre, tous ses Ordres, enfin il s’est fait poudrer ; on lui a serré sa queue (pauvre queue) dans un ruban neuf. Or, je dis qu’il n’y a qu’un homme de beaucoup de caractère qui puisse se faire faire la queue au moment de sa mort ; nous voilà huit ici, il n’y en a pas un seul de nous qui se la ferait faire. Ce n’est pas tout, il a dit, car vous savez qu’en mourant tous les hommes célèbres font un dernier speech (mot anglais qui signifie tartine parlementaire), il a dit… Comment a-t-il dit cela ? Ah ! « Je dois bien me parer pour recevoir le Roi du ciel, moi qui me suis tant de fois mis sur mon quarante et un pour aller chez le Roi de la terre ! » Voilà comment a fini monsieur de La Billardière, il a pris à tâche de justifier ce mot de Pythagore : On ne connaît bien les hommes qu’après leur mort.