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directeur d’un établissement autographique faire tirer deux exemplaires de ce travail au moyen d’une presse à copier, et possédait ainsi l’écriture même de Rabourdin. Pour ne pas éveiller le soupçon, il s’était hâté de replacer la minute dans le carton, en se rendant le premier au Bureau. Retenu jusqu’à minuit rue Duphot, Sébastien fut, malgré sa diligence, devancé par la haine. La haine demeurait rue Saint-Louis-Saint-Honoré, tandis que le dévouement demeurait rue du Roi-Doré au Marais. Ce simple retard pesa sur toute la vie de Rabourdin. Sébastien, pressé d’ouvrir le carton, y trouva sa copie inachevée, la minute en ordre, et les serra dans la caisse de son chef. Vers la fin de décembre, il fait souvent peu clair le matin dans les Bureaux, il en est même plusieurs où l’on gardait des lampes jusqu’à dix heures, Sébastien ne put donc remarquer la pression de la pierre sur le papier. Mais quand, à neuf heures et demie, Rabourdin examina sa minute, il aperçut d’autant mieux l’effet produit par les procédés de l’autographie, qu’il s’en était beaucoup occupé pour vérifier si les presses autographiques remplaceraient les expéditionnaires. Le Chef de Bureau s’assit dans son fauteuil, prit ses pincettes et se mit à arranger méthodiquement son feu, tant il fut absorbé par ses réflexions ; puis, curieux de savoir entre les mains de qui se trouvait son secret, il manda Sébastien.

— Quelqu’un est venu avant vous au Bureau ? lui demanda-t-il.

— Oui, dit Sébastien, monsieur Dutocq.

— Bien, il est exact. Envoyez-moi Antoine.

Trop grand pour affliger inutilement Sébastien en lui reprochant un malheur consommé, Rabourdin ne lui dit pas autre chose. Antoine vint, Rabourdin lui demanda si la veille il n’était pas resté quelques employés après quatre heures ; le garçon de bureau lui nomma Dutocq comme ayant travaillé plus tard que monsieur de la Roche. Rabourdin congédia le garçon par un signe de tête, et reprit le cours de ses réflexions.

— À deux fois j’ai empêché sa destitution, se dit-il, voilà ma récompense.

Cette matinée devait être pour le Chef de Bureau comme le moment solennel où les grands capitaines décident d’une bataille en pesant toutes les chances. Connaissant mieux que personne l’esprit des Bureaux, il savait qu’on n’y pardonne pas plus là qu’on ne le pardonne au Collége, au Bagne, ou à l’Armée, ce qui ressemble à la délation, à l’espionnage. Un homme capable de fournir des notes sur