homme souffrant et songeur. Ses cils blancs et son peu de sourcils l’avaient fait surnommer le lapin blanc par l’implacable Bixiou. Minard, ce Rabourdin d’une sphère inférieure, dévoré du désir de mettre sa Zélie dans une heureuse situation, cherchait dans l’océan des besoins du luxe et de l’industrie parisienne une idée, une découverte, un perfectionnement qui lui procurât une prompte fortune. Son apparente bêtise était produite par la tension continuelle de son esprit : il allait de la Double Pâte des Sultanes à l’Huile Céphalique, des briquets phosphoriques au gaz portatif, des socques articulés aux lampes hydrostatiques, embrassant ainsi les infiniment petits de la civilisation matérielle. Il supportait les plaisanteries de Bixiou comme un homme occupé supporte les bourdonnements d’un insecte, il ne s’en impatientait même point. Malgré son esprit, Bixiou ne devinait pas le profond mépris que Minard avait pour lui. Minard se souciait peu d’une querelle, il y voyait une perte de temps. Aussi avait-il fini par lasser son persécuteur. Il venait au Bureau habillé fort simplement, gardait le pantalon de coutil jusqu’en octobre, portait des souliers et des guêtres, un gilet en poil de chèvre, un habit de castorine en hiver et de gros mérinos en été, un chapeau de paille ou un chapeau de soie à onze francs, selon les saisons, car sa gloire était sa Zélie : il se serait passé de manger pour lui acheter une robe. Il déjeunait avec sa femme et ne mangeait rien au Bureau. Une fois par mois il menait Zélie au spectacle avec un billet donné par du Bruel ou par Bixiou, car Bixiou faisait de tout, même du bien. La mère de Zélie quittait alors sa loge, et venait garder l’enfant. Minard avait remplacé Vimeux dans le Bureau de Baudoyer. Madame et monsieur Minard rendaient en personne leurs visites du jour de l’an. En les voyant, on se demandait comment faisait la femme d’un pauvre employé à quinze cents francs pour maintenir son mari dans un costume noir, et porter des chapeaux de paille d’Italie à fleurs, des robes de mousseline brodée, des pardessous en soie, des souliers de prunelle, des fichus magnifiques, une ombrelle chinoise, et venir en fiacre et rester vertueuse ; tandis que madame Colleville ou telle autre dame pouvaient à peine joindre les deux bouts, elles qui avaient deux mille quatre cents francs !…
Dans chacun de ces Bureaux, il se trouvait un employé ami l’un de l’autre jusqu’à rendre leur amitié ridicule, car on rit de tout dans les Bureaux. Celui du Bureau Baudoyer, nommé Colleville, y