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nommé Auguste-Jean-François Minard. Minard s’était marié par amour avec une ouvrière fleuriste, fille d’un portier, qui travaillait chez elle pour mademoiselle Godard et que Minard avait vue rue de Richelieu dans la boutique. Étant fille, Zélie Lorain avait eu bien des fantaisies pour sortir de son état. D’abord élève du Conservatoire, tour à tour danseuse, chanteuse et actrice, elle avait songé à faire comme font beaucoup d’ouvrières, mais la peur de mal tourner et de tomber dans une effroyable misère l’avait préservée du vice. Elle flottait entre mille partis, lorsque Minard s’était dessiné nettement, une proposition de mariage à la main. Zélie gagnait cinq cents francs par an, Minard en avait quinze cents. En croyant pouvoir vivre avec deux mille francs, ils se marièrent sans contrat, avec la plus grande économie. Minard et Zélie étaient allés se loger auprès de la barrière de Courcelles, comme deux tourtereaux, dans un appartement de cent écus, au troisième : des rideaux de calicot blanc aux fenêtres, sur les murs un petit papier écossais à quinze sous le rouleau, carreau frotté, meubles en noyer, petite cuisine bien propre ; d’abord une première pièce où Zélie faisait ses fleurs, puis un salon meublé de chaises foncées en crin, une table ronde au milieu, une glace, une pendule représentant une fontaine à cristal tournant, des flambeaux dorés enveloppés de gaze ; enfin une chambre à coucher blanche et bleue ; lit, commode et secrétaire en acajou, petit tapis rayé au bas du lit, six fauteuils et quatre chaises ; dans un coin, le berceau en merisier où dormaient un fils et une fille. Zélie nourrissait ses enfants elle-même, faisait sa cuisine, ses fleurs et son ménage. Il y avait quelque chose de touchant dans cette heureuse et laborieuse médiocrité. En se sentant aimée par Minard, Zélie l’aima sincèrement. L’amour attire l’amour, c’est l’abyssus abyssum de la Bible. Ce pauvre homme quittait son lit le matin pendant que sa femme dormait, et lui allait chercher ses provisions. Il portait les fleurs terminées en se rendant à son bureau, en revenant il achetait les matières premières ; puis, en attendant le dîner, il taillait ou estampait les feuilles, garnissait les tiges, délayait les couleurs. Petit, maigre, fluet, nerveux, ayant des cheveux rouges et crépus, des yeux d’un jaune clair, un teint d’une éclatante blancheur, mais marqué de rousseurs, il avait un courage sourd et sans apparat. Il possédait la science de l’écriture au même degré que Vimeux. Au Bureau, il se tenait coi, faisait sa besogne et gardait l’attitude recueillie d’un