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metière de l’Ouest ses trois enfants auxquels il montrait les vingt mètres de terre achetés à perpétuité, dans lesquels son père et la mère de sa femme avaient été enterrés. « Nous y viendrons tous, » leur disait-il pour les familiariser avec l’idée de la mort. L’un de ses plus grands plaisirs consistait à explorer les environs de Paris, il s’en était donné la carte. Possédant déjà à fond Antony, Arcueil, Bièvre, Fontenay-aux-Roses, Aulnay, si célèbre par le séjour de plusieurs grands écrivains, il espérait avec le temps connaître toute la partie ouest des environs de Paris. Il destinait son fils aîné à l’Administration et le second à l’École Polytechnique. Il disait souvent à son aîné : « Quand tu auras l’honneur d’être employé par le Gouvernement ! » mais il lui soupçonnait une vocation pour les sciences exactes qu’il essayait de réprimer, en se réservant de l’abandonner à lui-même, s’il y persistait. Phellion n’avait jamais osé prier monsieur Rabourdin de lui faire l’honneur de dîner chez lui, quoiqu’il eût regardé ce jour comme un des plus beaux de sa vie. Il disait que s’il pouvait laisser un de ses fils marchant sur les traces d’un Rabourdin, il mourrait le plus heureux père du monde. Il rebattait si bien l’éloge de ce digne et respectable Chef aux oreilles des demoiselles La Grave, qu’elles désiraient voir le grand Rabourdin comme un jeune homme peut souhaiter de voir monsieur de Châteaubriand. — « Elles eussent été bien heureuses, disaient-elles, d’avoir sa demoiselle à élever ! » Quand, par hasard, la voiture du ministre sortait ou rentrait, qu’il y eût ou non du monde, Phellion se découvrait très-respectueusement, et prétendait que la France en irait bien mieux si tout le monde honorait assez le pouvoir pour l’honorer jusque dans ses insignes. Quand Rabourdin le faisait venir en bas pour lui expliquer un travail, Phellion tendait son intelligence, il écoutait les moindres paroles du chef comme un dilettante écoute un air aux Italiens. Silencieux au Bureau, les pieds en l’air sur un pupitre de bois et ne les bougeant point, il étudiait sa besogne en conscience. Il s’exprimait dans sa correspondance administrative avec une gravité religieuse, prenait tout au sérieux, et appuyait sur les ordres transmis par le ministre au moyen de phrases solennelles. Cet homme, si ferré sur les convenances, avait eu un désastre dans sa carrière de rédacteur, et quel désastre ! Malgré le soin extrême avec lequel il minutait, il lui était arrivé de laisser échapper une phrase ainsi conçue : Vous vous rendrez aux lieux indiqués, avec les papiers nécessaires. Heureux de