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Phellion. Il devait à la protection de son Chef une demi-bourse au collége Henri IV pour chacun de ses deux garçons : faveur bien placée, car Phellion avait encore une fille élevée gratis dans un pensionnat où sa femme donnait des leçons de piano, où il faisait une classe d’histoire et de géographie pendant la soirée. Homme de quarante-cinq ans, sergent-major de sa compagnie dans la Garde nationale, très-compatissant en paroles, mais hors d’état de donner un liard, le commis-rédacteur demeurait rue du Faubourg-Saint-Jacques, non loin des Sourds-Muets, dans une maison à jardin où son local (style Phellion) ne coûtait que quatre cents francs. Fier de sa place, heureux de son sort, il s’appliquait à servir le Gouvernement, se croyait utile à son pays, et se vantait de son insouciance en politique, où il ne voyait jamais que LE POUVOIR. Monsieur Rabourdin faisait plaisir à Phellion en le priant de rester une demi-heure de plus pour achever quelque travail, et il disait alors aux demoiselles La Grave, car il dînait rue Notre-Dame-des-Champs dans le pensionnat où sa femme professait la musique : — « Mesdemoiselles, les affaires ont exigé que je restasse au Bureau. Quand on appartient au gouvernement on n’est pas son maître ! » Il avait composé des livres par demandes et par réponses, à l’usage des pensionnats de jeunes demoiselles. Ces petits traités substantiels, comme il les nommait, se vendaient chez le libraire de l’Université, sous le nom de Catéchismes historique et géographique. Se croyant obligé d’offrir à madame Rabourdin un exemplaire papier vélin, relié en maroquin rouge, de chaque nouveau catéchisme, il les apportait en grande tenue : culotte de soie, bas de soie, souliers à boucles d’or, etc. Monsieur Phellion recevait le jeudi soir, après le coucher des pensionnaires, il donnait de la bière et des gâteaux. On jouait la bouillotte à cinq sous la cave. Malgré cette médiocre mise, par certains jeudis enragés, monsieur Laudigeois, employé à la Mairie, perdait ses dix francs. Tendu de papier vert américain à bordures rouges, ce salon était décoré des portraits du Roi, de la Dauphine et de Madame, des deux gravures de Mazeppa d’après Horace Vernet, de celle du Convoi du pauvre d’après Vigneron, « tableau sublime de pensée, et qui, selon Phellion, devait consoler les dernières classes de la société en leur prouvant qu’elles avaient des amis plus dévoués que les hommes et dont les sentiments allaient plus loin que la tombe ! » À ces paroles, vous devinez l’homme qui tous les ans conduisait, le jour des Morts, au ci-