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jeune âge aux endroits que du Bruel lui signalait comme douteux ; Sébastien le regardait comme un grand écrivain. Ce fut à Sébastien que du Bruel dit, le lendemain de la première représentation d’un vaudeville produit, comme tous les vaudevilles, par trois collaborateurs ; et où l’on avait sifflé dans quelques endroits : — Le public a reconnu les scènes faites à deux.

— Pourquoi ne travaillez-vous pas seul ? répondit naïvement Sébastien.

Il y avait d’excellentes raisons pour que du Bruel ne travaillât pas seul. Il était le tiers d’un auteur. Un auteur dramatique, comme peu de personnes le savent, se compose : d’abord d’un homme à idées, chargé de trouver les sujets et de construire la charpente ou scenario du vaudeville ; puis d’un piocheur, chargé de rédiger la pièce ; enfin d’un homme-mémoire, chargé de mettre en musique les couplets, d’arranger les chœurs et les morceaux d’ensemble, de les chanter, de les superposer à la situation. L’homme-mémoire fait aussi la recette, c’est-à-dire veille à la composition de l’affiche, en ne quittant pas le directeur qu’il n’ait indiqué pour le lendemain une pièce de la société. Du Bruel, vrai Piocheur, lisait au Bureau les livres nouveaux, en extrayait les mots spirituels et les enregistrait pour en émailler son dialogue. Cursy (son nom de guerre) était estimé par ses collaborateurs, à cause de sa parfaite exactitude ; avec lui, sûr d’être compris, l’Homme aux sujets pouvait se croiser les bras. Les employés de la Division aimaient assez le vaudevilliste pour aller en masse à ses pièces et les soutenir, car il méritait le titre de bon enfant. La main leste à la poche, ne se faisant jamais tirer l’oreille pour payer des glaces ou du punch, il prêtait cinquante francs sans jamais les redemander. Possédant une maison de campagne à Aulnay, rangé, plaçant son argent, du Bruel avait, outre les quatre mille cinq cents de sa place, douze cents de pension sur la Liste Civile et huit cents sur les cent mille écus d’encouragements aux Arts votés par la Chambre. Ajoutez à ces divers produits neuf mille francs gagnés par les quarts, les tiers, les moitiés de vaudevilles à trois théâtres différents, et vous comprendrez qu’au physique, il fût gros, gras, rond et montrât une figure de bon propriétaire. Au moral, amant de cœur de Tullia, du Bruel se croyait préféré, comme toujours, au brillant duc de Rhétoré, l’amant en titre.

Dutocq n’avait pas vu sans effroi ce qu’il nommait la liaison de