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bles caniches constitutionnels, si doux, si bien frisés, si caressants, si dociles, si merveilleusement dressés, de bonne garde, et… fidèles ! Mais le secrétaire particulier ne vient, ne s’obtient, ne se découvre, ne se développe que dans les bureaux d’un gouvernement représentatif. Dans la monarchie vous n’avez que des courtisans et des serviteurs ; tandis qu’avec une Charte vous êtes servi, flatté, caressé par des hommes libres. Les ministres, en France, sont donc plus heureux que les femmes et que les rois : ils ont quelqu’un qui les comprend. Peut-être faut-il plaindre les secrétaires particuliers à l’égal des femmes et du papier blanc : ils souffrent tout. Comme la femme chaste, ils doivent n’avoir de talent qu’en secret, et pour leurs ministres. S’ils ont du talent en public, ils sont perdus. Un secrétaire particulier est donc un ami donné par le Gouvernement. Revenons aux Bureaux ?

Trois garçons vivaient en paix à la Division La Billardière, à savoir : un garçon pour les deux bureaux, un autre commun aux deux chefs, et celui du directeur de la Division, tous trois chauffés et habillés par l’État, portant cette livrée si connue, bleu de roi à liserés rouges en petite tenue, et pour la grande larges galons bleus blancs et rouges. Celui de La Billardière avait une tenue d’huissier. Pour flatter l’amour-propre du cousin d’un ministre, le Secrétaire-général avait toléré cet empiétement qui d’ailleurs ennoblissait l’Administration. Véritables piliers de ministères, experts des coutumes bureaucratiques, ces garçons, sans besoins, bien chauffés, vêtus aux dépens de l’État, riches de leur sobriété, sondaient jusqu’au vif les employés ; ils n’avaient d’autre moyen de se désennuyer que de les observer, d’étudier leurs manies ; aussi savaient-ils à quel point ils pouvaient s’avancer avec eux dans le prêt, faisant d’ailleurs leurs commissions avec la plus entière discrétion, allant engager ou dégager au Mont-de-Piété, achetant les reconnaissances, prêtant sans intérêt ; mais aucun employé ne prenait d’eux la moindre somme sans rendre une gratification, les sommes étaient légères, et il s’ensuivait des placements dits à la petite semaine. Ces serviteurs sans maîtres avaient neuf cents francs d’appointements ; les étrennes et gratifications portaient ces émoluments à douze cents francs, et ils étaient en position d’en gagner presque autant avec les employés, car les déjeuners de ceux qui déjeunaient leur passaient par les mains. Dans certains ministères, le concierge apprêtait ces déjeuners. La conciergerie du Ministère des Finances