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composé de cent cinquante feuillets de grand papier Tellière, outre les tableaux à l’appui, les résumés qui tenaient sur une simple feuille, les calculs avec accolades, titres à l’anglaise et sous-titres en ronde. Animé par sa participation mécanique à cette grande idée, l’enfant de vingt ans refaisait un tableau pour un simple grattage, il mettait sa gloire à peindre les écritures, éléments d’une si noble entreprise. Sébastien avait commis l’imprudence d’emporter au bureau la minute du travail le plus dangereux, afin d’en achever la copie. C’était un État général des employés des administrations centrales de tous les ministères à Paris, avec des indications sur leur fortune présente et à venir, et sur leurs entreprises personnelles en dehors de leur emploi.

À Paris tout employé qui n’a pas, comme Rabourdin, une patriotique ambition ou quelque capacité supérieure, joint les fruits d’une industrie aux produits de sa place afin de pouvoir exister. Il fait comme monsieur Saillard, il s’intéresse à un commerce en baillant des fonds, et le soir il tient les livres de son associé. Beaucoup d’employés sont mariés à des lingères, à des débitantes de tabac, à des directrices de bureau de loterie ou de cabinets de lecture. Quelques-uns, comme le mari de madame Colleville, l’antagoniste de Célestine, sont placés à l’orchestre d’un Théâtre. D’autres, comme du Bruel, fabriquent des vaudevilles, des opéras-comiques, des mélodrames, ou dirigent des spectacles. En ce genre, on peut citer messieurs Sewrin, Pixerécourt, Planard, etc. Dans leur temps Pigault-Lebrun, Piis, Duvicquet avaient des places. Le premier libraire de monsieur Scribe fut un employé au Trésor.

Outre ces renseignements, l’État fait par Rabourdin contenait un examen des capacités morales et des facultés physiques nécessaires pour bien connaître les gens chez lesquels se rencontraient l’intelligence, l’aptitude au travail et la santé, trois conditions indispensables dans des hommes qui devaient supporter le fardeau des affaires publiques, qui devaient tout faire vite et bien. Mais ce beau travail, fruit de dix années d’expérience, d’une longue connaissance des hommes et des choses, obtenu par des liaisons avec les principaux fonctionnaires des différents Ministères, sentait l’espionnage et la police pour qui ne comprenait pas à quoi il se rattachait. Une seule feuille lue, monsieur Rabourdin pouvait être perdu. Admirant sans restriction son chef et ignorant encore