Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la nuit, au bal ou ailleurs ; tu la rencontres le lendemain dans la rue, et tu as l’air de la reconnaître : improper ! Tu trouves à dîner, sous le frac de ton voisin de gauche, un homme charmant, de l’esprit, nulle morgue, du laissez-aller ; il n’a rien d’anglais ; suivant les lois de l’ancienne compagnie française, si accorte, si aimable, tu lui parles : improper ! Vous abordez au bal une jolie femme afin de la faire danser : improper ! Vous vous échauffez, vous discutez, vous riez, vous répandez votre cœur, votre âme, votre esprit dans votre conversation ; vous y exprimez des sentiments ; vous jouez quand vous êtes au jeu, vous causez en causant et vous mangez en mangeant : improper ! improper ! improper ! Un des hommes les plus spirituels et les plus profonds de cette époque, Stendalh a très-bien caractérisé l’improper en disant qu’il est tel lord de la Grande-Bretagne qui, seul, n’ose pas se croiser les jambes devant son feu, de peur d’être improper. Une dame anglaise, fût-elle de la secte furieuse des saints (protestants renforcés qui laisseraient mourir toute leur famille de faim, si elle était improper), ne sera pas improper en faisant le diable à trois dans sa chambre à coucher, et se regardera comme perdue si elle reçoit un ami dans cette même chambre. Grâce à l’improper, on trouvera quelque jour Londres et ses habitants pétrifiés.

— Quand on pense qu’il est en France des niais qui veulent y importer les solennelles bêtises que les Anglais font chez eux avec ce beau sang-froid que vous leur connaissez, dit Blondet, il y a de quoi faire frémir quiconque a vu l’Angleterre et se souvient des gracieuses et charmantes mœurs françaises. Dans les derniers temps, Walter Scott, qui n’a pas osé peindre les femmes comme elles sont de peur d’être improper, se repentait d’avoir fait la belle figure d’Effie dans la Prison d’Édimbourg.

— Veux-tu ne pas être improper en Angleterre ? dit Bixiou à Finot.

— Hé ! bien ? dit Finot.

— Va voir aux Tuileries une espèce de pompier en marbre intitulé Thémistocle par le statuaire, et tâche de marcher comme la statue du commandeur, tu ne seras jamais improper. C’est par une application rigoureuse de la grande loi de l’improper que le bonheur de Godefroid se compléta. Voici l’histoire. Il avait un tigre, et non pas un groom, comme l’écrivent des gens qui ne sa-