Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rotatoire qui métamorphose les employés en préfets, sous-préfets, directeurs des contributions, receveurs, etc., en bons-hommes de lanterne magique, n’est soumis à aucune loi, à aucun stage. Par cette lacune, débouchèrent les surnuméraires à cabriolet, à beaux habits, à moustaches, et impertinents comme des parvenus. Le journalisme persécutait assez le surnuméraire riche, toujours cousin, neveu, parent de quelque ministre, de quelque député, d’un pair très-influent ; mais les employés, complices de ce surnuméraire, en recherchaient la protection. Le surnuméraire pauvre, le vrai, le seul surnuméraire, est presque toujours le fils de quelque veuve d’employé qui vit sur une maigre pension et se tue à nourrir son fils jusqu’à ce qu’il arrive à la place d’expéditionnaire, et qui meurt le laissant près du bâton de maréchal, quelque place de commis-rédacteur, de commis d’ordre, ou peut-être de Sous-chef. Toujours logé dans un quartier où les loyers ne sont pas chers, ce surnuméraire part de bonne heure ; pour lui, l’état du ciel est la seule question d’Orient ! Venir à pied, ne pas se crotter, ménager ses habits, calculer le temps qu’une trop forte averse peut lui prendre s’il est forcé de se mettre à l’abri, combien de préoccupations ! Les trottoirs dans les rues, le dallage des boulevards et des quais furent des bienfaits pour lui. Quand, par des causes bizarres, vous êtes dans Paris à sept heures et demie ou huit heures du matin, en hiver, que vous voyez, par un froid piquant, par une pluie, par un mauvais temps quelconque, poindre un craintif et pale jeune homme, sans cigare, faites attention à ses poches ?… vous y verrez la configuration d’une flûte que sa mère lui a donnée, afin qu’il puisse, sans danger pour son estomac, franchir les neuf heures qui séparent son déjeuner de son dîner. La candeur des surnuméraires dure peu, d’ailleurs. Un jeune homme, éclairé par les lueurs de la vie parisienne, a bientôt mesuré la distance effroyable qui se trouve entre un Sous-chef et lui, cette distance qu’aucun mathématicien, ni Archimède, ni Newton, ni Pascal, ni Leibnitz, ni Kepler, ni Laplace, n’a pu évaluer, et qui existe entre 0 et le chiffre 1, entre une gratification problématique et un traitement ! Le surnuméraire aperçoit donc assez promptement les impossibilités de la carrière, il entend parler des passe-droits par des employés qui les expliquent ; il découvre les intrigues des Bureaux, il voit les moyens exceptionnels par lesquels ses supérieurs sont parvenus : l’un a épousé une jeune personne qui a fait une faute ; l’autre, la fille naturelle