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de madame la Dauphine. Nous sommes dans un temps où il faut donner les emplois à des gens dévoués et dont les principes religieux soient inébranlables.

— Tiens, dit Falleix, faut donc des protections aux gens de mérite pour arriver dans vos états ? J’ai bien fait de me faire fondeur, la pratique sait dénicher les choses bien fabriquées…

— Monsieur, répondit Baudoyer, le gouvernement est le gouvernement, ne l’attaquez jamais ici.

— En effet, dit le vicaire, vous parlez là comme le Constitutionnel.

— Le Constitutionnel ne dit pas autre chose, reprit Baudoyer qui ne le lisait jamais.

Le caissier croyait son gendre aussi supérieur en talents à Rabourdin qu’il croyait Dieu au-dessus de saint Crépin, disait-il, mais le bonhomme souhaitait cet avancement avec naïveté. Mu par le sentiment qui porte tous les employés à monter en grade, passion violente, irréfléchie, brutale, il voulait le succès, comme il voulait la croix de la Légion-d’Honneur, sans rien faire contre sa conscience, et par la seule force du mérite. Selon lui, un homme qui avait eu la patience d’être assis pendant vingt-cinq ans dans un bureau, derrière un grillage, s’était tué pour la patrie et avait bien mérité la croix. Pour servir son gendre, il n’avait pas inventé autre chose que de glisser une phrase à la femme de son Excellence, en lui apportant le traitement du mois.

— Hé ! bien, Saillard, tu as l’air d’avoir perdu tous tes parents ? Parle-nous donc, mon fils. Dis-nous donc quelque chose, lui cria sa femme quand il rentra.

Saillard tourna sur ses talons après avoir fait un signe à sa fille, pour se défendre de parler politique devant les étrangers. Quand monsieur Mitral et le vicaire furent partis, Saillard recula la table, se mit dans un fauteuil et se posa comme il se posait quand il avait un cancan de bureau à répéter, mouvements semblables aux trois coups frappés sur le théâtre à la Comédie française. Après avoir recommandé le plus profond secret à sa femme, à son gendre et à sa fille, car, quelque mince que fût le cancan, leurs places, selon lui, dépendaient toujours de leur discrétion, il leur raconta cette incompréhensible énigme de la démission d’un député, de l’envie bien légitime du Secrétaire-général d’être nommé à sa place, de la secrète opposition du Ministère au vœu d’un de ses plus fermes