Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 11.djvu/171

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Mais où prendrait-il l’argent pour des acquisitions ?

— Et comment Manuel a-t-il été possesseur d’une maison à Paris ? s’écria le ministre.

La patère écoutait, mais bien à son corps défendant. Ces vives interlocutions quoique murmurées aboutissaient à l’oreille de Saillard par des caprices d’acoustique encore mal observés. Savez-vous quel sentiment s’empara du bonhomme en entendant ces confidences politiques ? une terreur cuisante. Il était de ces gens naïfs qui se désespèrent de paraître écouter ce qu’ils ne doivent pas entendre, d’entrer là où ils ne sont pas appelés, de paraître hardis quand ils sont timides, curieux quand ils sont discrets. Le caissier se glissa sur le tapis de manière à se reculer, en sorte que le ministre le trouva fort loin quand il l’aperçut. Saillard était un séide ministériel incapable de la moindre indiscrétion ; si le ministre l’avait cru dans son secret, il n’aurait eu qu’à lui dire : motus ! Le caissier profita de l’affluence des courtisans, regagna un fiacre de son quartier pris à l’heure lors de ces coûteuses invitations, et revint à la Place-Royale.

À l’heure où le père Saillard voyageait dans Paris, son gendre et sa chère Élisabeth étaient occupés avec l’abbé Gaudron, leur directeur, à faire un vertueux boston en compagnie de quelques voisins, et d’un certain Martin Falleix, fondeur en cuivre au faubourg Saint-Antoine, à qui Saillard avait prêté les fonds nécessaires pour créer un bénéficieux établissement. Ce Falleix, honnête Auvergnat venu le chaudron sur le dos, avait été promptement employé chez les Brézac, grands dépeceurs de châteaux. Vers vingt-sept ans, altéré de bien-être tout comme un autre, Martin Falleix eut le bonheur d’être commandité par monsieur Saillard pour l’exploitation d’une découverte en fonderie. (Brevet d’invention et médaille d’or à l’exposition de 1825.) Madame Baudoyer, dont la fille unique marchait, suivant un mot du père Saillard, sur la queue de ses douze ans, avait jeté son dévolu sur Falleix, garçon trapu, noiraud, actif, de probité dégourdie, dont elle faisait l’éducation. Suivant ses idées, cette éducation consistait à apprendre au petit Auvergnat à jouer au boston, à bien tenir ses cartes, à ne pas laisser voir dans son jeu, à venir chez eux rasé, les mains savonnées au gros savon ordinaire, à ne pas jurer, à parler leur français, à porter des boues au lieu de souliers, des chemises en calicot au lieu de chemises en toile à sacs, à relever