mille francs du mois en temps utile, il les avançait ou les retardait à commandement, et se ménageait ainsi, suivant une vieille expression monastique, une voix au Chapitre. Ancien teneur de livres au Trésor quand le Trésor avait des livres tenus en parties doubles, le sieur Saillard fut indemnisé par sa place actuelle quand on y renonça. C’était un gros et gras bonhomme très-fort sur la tenue des livres et très-faible en toute autre chose, rond comme un zéro, simple comme bonjour, qui venait à pas comptés comme un éléphant, et s’en allait de même à la Place-Royale où il demeurait dans le rez-de-chaussée d’un vieil hôtel à lui. Il avait pour compagnon de route monsieur Isidore Baudoyer, Chef de bureau dans la Division de monsieur La Billardière et partant collègue de Rabourdin, lequel avait épousé sa fille Élisabeth, et avait naturellement pris un appartement au-dessus du sien. Personne ne doutait au Ministère que le père Saillard ne fût une bête, mais personne n’avait jamais pu savoir jusqu’où allait sa bêtise ; elle était trop compacte pour être interrogée, elle ne sonnait pas le creux, elle absorbait tout sans rien rendre. Bixiou (un employé dont il sera bientôt question) avait fait sa charge en mettant une tête à perruque sur le haut d’un œuf et deux petites jambes dessous, avec cette inscription : « Né pour payer et recevoir sans jamais commettre d’erreurs. Un peu moins de bonheur, il eût été garçon de la banque de France, un peu plus d’ambition, il était remercié. » En ce moment, le ministre regardait son caissier comme on regarde une patère ou la corniche, sans imaginer que l’ornement puisse entendre le discours, ni comprendre une pensée secrète.
— Je tiens d’autant plus à ce que nous arrangions tout avec le préfet dans le plus profond mystère, que des Lupeaulx a des prétentions, disait le ministre au député démissionnaire, sa bicoque est dans votre Arrondissement et nous ne voulons pas de lui.
— Il n’a ni le cens, ni l’âge, dit le député.
— Oui, mais vous savez ce qui a été décidé pour Casimir Périer, relativement à l’âge. Quant à la possession annale, des Lupeaulx possède quelque chose qui ne vaut pas grand chose ; mais la loi n’a pas prévu les agrandissements, et il peut acquérir ; or, les commissions ont la marche large pour les députés du Centre, et nous ne pourrions pas nous opposer ostensiblement à la bonne volonté que l’on aurait pour ce cher ami.