autre femme ; toutes se réservent en ce cas la parole, afin de vinaigrer la louange.
— Ce pauvre La Billardière est en train de mourir, reprit son Excellence, sa succession administrative revient à Rabourdin, qui est un de nos plus habiles employés, et envers qui nos prédécesseurs ne se sont pas bien conduits, quoique l’un d’eux ait dû sa Préfecture de police sous l’Empire à certain personnage payé pour s’intéresser à Rabourdin. Franchement, cher ami, vous êtes encore assez jeune pour être aimé pour vous-même…
— Si la place de La Billardière est acquise à Rabourdin, je puis être cru quand je vante la supériorité de sa femme, répliqua des Lupeaulx en sentant l’ironie du ministre ; mais si madame la comtesse veut en juger par elle-même…
— Je l’inviterai à mon premier bal, n’est-ce pas ? Votre femme supérieure arriverait quand j’aurais de ces dames qui viennent ici pour se moquer de nous, et qui entendraient annoncer madame Rabourdin.
— Mais n’annonce-t-on pas madame Firmiani chez le ministre des Affaires Étrangères ?
— Une femme née Cadignan !… dit vivement le nouveau comte en lançant un coup d’œil foudroyant à son Secrétaire général, car ni lui ni sa femme n’étaient nobles.
Beaucoup de personnes crurent qu’il s’agissait d’affaires importantes, les solliciteurs demeurèrent au fond du salon. Quand des Lupeaulx sortit, la comtesse nouvelle dit à son mari : — Je crois des Lupeaulx amoureux ?
— Ce serait donc la première fois de sa vie, répondit-il en haussant les épaules comme pour dire à sa femme que des Lupeaulx ne s’occupait point de bagatelles.
Le ministre vit entrer un député du Centre droit et laissa sa femme pour aller caresser une voix indécise. Mais, sous le coup d’un désastre imprévu qui l’accablait, ce député voulait s’assurer une protection et venait annoncer en secret qu’il serait sous peu de jours obligé de donner sa démission. Ainsi prévenu, le Ministère pouvait faire jouer ses batteries avant l’Opposition.
Le ministre, c’est-à-dire des Lupeaulx, avait invité à dîner un personnage inamovible dans tous les Ministères, assez embarrassé de sa personne, et qui, dans son désir de prendre une contenance digne, restait planté sur ses deux jambes réunies à la façon d’une