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faillible. En dînant chez ce simple Chef de Bureau, des Lupeaulx se promit d’y dîner quelquefois. Grâce au jeu décent et convenable de la charmante femme que sa rivale, madame Colleville, surnommait la Célimène de la rue Duphot, il y dînait tous les vendredis depuis un mois, et revenait de son propre mouvement prendre une tasse de thé le mercredi.

Depuis quelques jours, après de savantes et fines perquisitions, madame Rabourdin croyait avoir trouvé dans cette planche ministérielle la place d’y mettre une fois le pied. Elle ne doutait plus du succès. Sa joie intérieure ne peut être comprise que dans ces ménages d’employés où l’on a, trois ou quatre ans durant, calculé le bien-être résultant d’une nomination espérée, caressée, choyée. Combien de souffrances apaisées ! combien de vœux élancés vers les divinités ministérielles ! combien de visites intéressées ! Enfin, grâce à sa hardiesse, madame Rabourdin entendait tinter l’heure où elle allait avoir vingt mille francs par an au lieu de huit mille.

— Et je me serai bien conduite, se disait-elle. J’ai fait un peu de dépense ; mais nous ne sommes pas dans une époque où l’on va chercher les mérites qui se cachent, tandis qu’en se mettant en vue, en restant dans le monde, en cultivant ses relations, en s’en faisant de nouvelles, un homme arrive. Après tout, les ministres et leurs amis ne s’intéressent qu’aux gens qu’ils voient, et Rabourdin ne se doute pas du monde ! Si je n’avais pas entortillé ces trois députés, ils auraient peut-être voulu la place de La Billardière ; tandis que, reçus chez moi, la vergogne les prend, ils deviennent nos appuis au lieu d’être nos rivaux. J’ai fait un peu la coquette, mais je suis heureuse que les premières niaiseries avec lesquelles on amuse les hommes aient suffi…

Le jour où commença réellement une lutte inattendue à propos de cette place, après le dîner ministériel qui précédait une de ces soirées que les ministres considèrent comme publiques, des Lupeaulx se trouvait à la cheminée auprès de la femme du ministre ; et, en prenant sa tasse de café, il lui arriva de comprendre encore une fois madame Rabourdin parmi les sept ou huit femmes véritablement supérieures de Paris ; à plusieurs reprises, il avait mis au jeu madame Rabourdin comme le caporal Trim y mettait son bonnet.

— Ne le dites pas trop, cher ami, vous lui feriez du tort, lui dit la femme du ministre en riant à demi.

Aucune femme n’aime à entendre faire devant elle l’éloge d’une