laisse gronder, rouler par les escaliers, et le lendemain, au réveil présente gaiement un excellent consommé. Quelque grand que soit un homme, il a besoin d’une femme de ménage avec laquelle il puisse être faible, indécis, disputailleur avec son propre destin, s’interroger, se répondre et s’enhardir au combat. N’est-ce pas comme le bois mou des Sauvages, qui, frotté contre du bois dur, donne le feu ? Beaucoup de génies s’allument ainsi. Napoléon faisait ménage avec Berthier, et Richelieu avec le père Joseph : des Lupeaulx faisait ménage avec tout le monde. Il restait l’ami des ministres déchus en se constituant leur intermédiaire auprès de ceux qui arrivaient ; il embaumait ainsi la dernière flatterie et parfumait le premier compliment. Il entendait d’ailleurs admirablement les petites choses auxquelles un homme d’État n’a pas le loisir de songer : il comprenait une nécessité, il obéissait bien ; il relevait sa bassesse en en plaisantant le premier, afin d’en relever tout le prix, et choisissait toujours dans les services à rendre celui que l’on n’oublierait pas. Ainsi, quand il fallut franchir le fossé qui séparait l’Empire de la Restauration, quand chacun cherchait une planche pour le passer, au moment où les roquets de l’Empire se ruaient dans un dévouement de paroles, des Lupeaulx passait la frontière après avoir emprunté de fortes sommes à des usuriers. Jouant le tout pour le tout, il rachetait en Allemagne les créances les plus criardes sur le roi Louis XVIII, et liquidait par ce moyen, lui le premier, près de trois millions à vingt pour cent ; car il eut le bonheur d’opérer à cheval sur 1814 et sur 1815. Les bénéfices furent dévorés par les sieurs Gobseck, Werbrust et Gigonnet, croupiers de l’entreprise ; des Lupeaulx les leur avait promis ; il ne jouait pas une mise, il jouait toute la banque, en sachant bien que Louis XVIII n’était pas homme à oublier cette lessive. Des Lupeaulx fut nommé maître des requêtes, chevalier de Saint-Louis et officier de la Légion-d’Honneur. Une fois grimpé, l’homme habile chercha les moyens de se maintenir sur son échelon, car dans la place forte où il s’était introduit les généraux ne conservent pas long-temps les bouches inutiles. Aussi, à son métier de ménagère et d’entremetteur, avait-il joint la consultation gratuite dans les maladies secrètes du pouvoir. Après avoir reconnu chez les prétendues supériorités de la Restauration une profonde infériorité relativement aux événements qui les dominaient, il avait imposé leur médiocrité politique en leur apportant, leur vendant au milieu
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