puis plus d’un mois ne voyait plus la princesse, et n’avait pas reçu d’elle un seul traître mot, vint amenée par une excessive curiosité. Rien de plus plaisant que la conversation de ces deux fines couleuvres pendant la première demi-heure. Diane d’Uxelles se gardait, comme de porter une robe jaune, de parler de d’Arthez. La marquise tournait autour de cette question comme un Bédouin autour d’une riche caravane. Diane s’amusait, la marquise enrageait. Diane attendait, elle voulait utiliser son amie, et s’en faire un chien de chasse. De ces deux femmes si célèbres dans le monde actuel, l’une était plus forte que l’autre. La princesse dominait de toute la tête la marquise, et la marquise reconnaissait intérieurement cette supériorité. Là, peut-être, était le secret de cette amitié. La plus faible se tenait tapie dans son faux attachement pour épier l’heure si long-temps attendue par tous les faibles, de sauter à la gorge des forts, et leur imprimer la marque d’une joyeuse morsure. Diane y voyait clair. Le monde entier était la dupe des câlineries de ces deux amies. À l’instant où la princesse aperçut une interrogation sur les lèvres de son amie, elle lui dit : — Eh ! bien, ma chère, je vous dois un bonheur complet, immense, infini, céleste.
— Que voulez-vous dire ?
— Vous souvenez-vous de ce que nous ruminions, il y a trois mois, dans ce petit jardin, sur le banc, au soleil, sous le jasmin ? Ah ! il n’y a que les gens de génie qui sachent aimer. J’appliquerais volontiers à mon grand Daniel d’Arthez le mot du duc d’Albe à Catherine de Médicis : la tête d’un seul saumon vaut celle de toutes les grenouilles.
— Je ne m’étonne point de ne plus vous voir, dit madame d’Espard.
— Promettez-moi, si vous le voyez, de ne pas lui dire un mot de moi, mon ange, dit la princesse en prenant la main de la marquise. Je suis heureuse, oh ! mais heureuse au delà de toute expression, et vous savez combien dans le monde un mot, une plaisanterie vont loin. Une parole tue, tant on sait mettre de venin dans une parole ! Si vous saviez combien, depuis huit jours, j’ai désiré pour vous une semblable passion ! Enfin, il est doux, c’est un beau triomphe pour nous autres femmes que d’achever notre vie de femme, de s’endormir dans un amour ardent, pur, dévoué, complet, entier, surtout quand on l’a cherché pendant si long-temps.
— Pourquoi me demandez-vous d’être fidèle à ma meilleure