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Le croirez-vous ?… il y est parvenu. Rastignac, qui se serait battu comme Jarnac, passa dès lors à l’opinion de Henri II, en vertu de son grand mot : Il n’y a pas de vertu absolue, mais des circonstances. Ceci tient à l’histoire de sa fortune.

— Tu devrais bien nous entamer ton conte au lieu de nous induire à nous calomnier nous-mêmes, dit Blondet avec une gracieuse bonhomie.

— Ha ! ha ! mon petit, lui dit Bixiou en lui donnant le baptême d’une petite tape sur l’occiput, tu te rattrapes au vin de Champagne.

— Hé, par le saint nom de l’Actionnaire, dit Couture, raconte-nous ton histoire ?

— J’y étais d’un cran, repartit Bixiou ; mais avec ton juron, tu me mets au dénoûment.

— Il y a donc des actionnaires dans l’histoire, demanda Finot.

— Richissimes comme les tiens, répondit Bixiou.

— Il me semble, dit Finot d’un ton gourmé, que tu dois des égards à un bon enfant chez qui tu trouves dans l’occasion un billet de cinq cents…

— Garçon ! cria Bixiou.

— Que veux-tu au garçon ? lui dit Blondet.

— Faire rendre à Finot ses cinq cents francs, afin de dégager ma langue et déchirer ma reconnaissance.

— Dis ton histoire, reprit Finot en feignant de rire.

— Vous êtes témoins, dit Bixiou, que je n’appartiens pas à cet impertinent qui croit que mon silence ne vaut que cinq cents francs ! tu ne seras jamais ministre, si tu ne sais pas jauger les consciences. Eh ! bien, oui, dit-il d’une voix câline, mon bon Finot, je dirai l’histoire sans personnalités, et nous serons quittes.

— Il va nous démontrer, dit en souriant Blondet, que Nucingen a fait la fortune de Rastignac.

— Tu n’en es pas si loin que tu le penses, reprit Bixiou. Vous ne connaissez pas ce qu’est Nucingen, financièrement parlant.

— Tu ne sais seulement pas, dit Blondet, un mot de ses débuts ?

— Je ne l’ai connu que chez lui, dit Bixiou, mais nous pourrions nous être vus autrefois sur la grand’route.

— La prospérité de la maison Nucingen est un des phénomènes les plus extraordinaires de notre époque, reprit Blondet. En 1804, Nucingen était peu connu. Les banquiers d’alors auraient tremblé