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sonnage au monde : j’ai eu les charges du crime sans en avoir les bénéfices. J’avais tant de plaisir à me compromettre ! Ah ! j’ai fait des malices d’enfant. Je suis allée en Italie avec un jeune étourdi que j’ai planté là quand il m’a parlé d’amour ; mais quand j’ai su qu’il s’était compromis pour moi (il avait fait un faux pour avoir de l’argent !) j’ai couru le sauver. Ma mère et mon mari, qui savaient le secret de ces choses, me tenaient en bride comme une femme prodigue. Oh ! cette fois, je suis allée au roi. Louis XVIII, cet homme sans cœur, a été touché : il m’a donné cent mille francs sur sa cassette. Le marquis d’Esgrignon, ce jeune homme que vous avez peut-être rencontré dans le monde et qui a fini par faire un très-riche mariage, a été sauvé de l’abîme où il s’était plongé pour moi. Cette aventure, causée par ma légèreté, m’a fait réfléchir. Je me suis aperçue que j’étais la première victime de ma vengeance. Ma mère, mon mari, mon beau-père avaient le monde pour eux, ils paraissaient protéger mes folies. Ma mère, qui me savait bien trop fière, trop grande, trop d’Uxelles pour me conduire vulgairement, fut alors épouvantée du mal qu’elle avait fait. Elle avait cinquante-deux ans, elle a quitté Paris, elle est allée vivre à Uxelles. Elle se repent maintenant de ses torts, elle les expie par la dévotion la plus outrée et par une affection sans bornes pour moi. Mais, en 1823, elle m’a laissée seule et face à face avec monsieur de Maufrigneuse. Oh ! mon ami, vous autres hommes, vous ne pouvez savoir ce qu’est un vieil homme à bonnes fortunes. Quel intérieur que celui d’un homme accoutumé aux adorations des femmes du monde, qui ne trouve ni encens, ni encensoir chez lui, mort à tout, et jaloux par cela même ! J’ai voulu, quand monsieur de Maufrigneuse a été tout à moi, j’ai voulu être une bonne femme ; mais je me suis heurtée à toutes les aspérités d’un esprit chagrin, à toutes les fantaisies de l’impuissance, aux puérilités de la niaiserie, à toutes les vanités de la suffisance, à un homme qui était enfin la plus ennuyeuse élégie du monde, et qui me traitait comme une petite fille, qui se plaisait à humilier mon amour propre à tout propos, à m’aplatir sous les coups de son expérience, à me prouver que j’ignorais tout. Il me blessait à chaque instant. Enfin il a tout fait pour se faire prendre en détestation et me donner le droit de le trahir, mais j’ai été la dupe de mon cœur et de mon envie de bien faire pendant trois ou quatre années ! Savez-vous le mot infâme qui m’a fait faire d’autres folies ? Inventerez-