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le secret. Vous voulez donc plus que mon âme ? Tyran ! vous voulez donc que j’ensevelisse en vous ma probité, dit-elle en jetant sur d’Arthez un regard par lequel elle donna plus de prix à cette fausse confidence qu’à toute sa personne.

— Vous faites de moi un homme par trop ordinaire, si de moi vous craignez quoi que ce soit de mal, dit-il avec une amertume mal déguisée.

— Pardon, mon ami, répondit-elle en lui prenant la main, la regardant, la prenant dans les siennes et la caressant en y traînant les doigts par un mouvement d’une excessive douceur. Je sais tout ce que vous valez. Vous m’avez raconté toute votre vie, elle est noble, elle est belle, elle est sublime, elle est digne de votre nom ; peut-être, en retour, vous dois-je la mienne ? Mais j’ai peur en ce moment de déchoir à vos yeux en vous racontant des secrets qui ne sont pas seulement les miens. Puis peut-être ne croirez-vous pas, vous homme de solitude et de poésie, aux horreurs du monde. Ah ! vous ne savez pas qu’en inventant vos drames, ils sont surpassés par ceux qui se jouent dans les familles en apparence les plus unies. Vous ignorez l’étendue de certaines infortunes dorées.

— Je sais tout, s’écria-t-il.

— Non, reprit-elle, vous ne savez rien. Une fille doit-elle jamais livrer sa mère ?

En entendant ce mot, d’Arthez se trouva comme un homme égaré par une nuit noire dans les Alpes, et qui, aux premières lueurs du matin, aperçoit qu’il enjambe un précipice sans fond. Il regarda la princesse d’un air hébété, il avait froid dans le dos. Diane crut que cet homme de génie était un esprit faible, mais elle lui vit un éclat dans les yeux qui la rassura.

— Enfin, vous êtes devenu pour moi presque un juge, dit-elle d’un air désespéré. Je puis parler, en vertu du droit qu’a tout être calomnié de se montrer dans son innocence. J’ai été, je suis encore, (si tant est qu’on se souvienne d’une pauvre recluse forcée par le monde de renoncer au monde !) accusée de tant de légèreté, de tant de mauvaises choses, qu’il peut m’être permis de me poser dans le cœur où je trouve un asile de manière à n’en être pas chassée. J’ai toujours vu dans la justification une forte atteinte faite à l’innocence, aussi ai-je toujours dédaigné de parler. À qui d’ailleurs pouvais-je adresser la parole ? On ne doit confier ces cruelles choses qu’à Dieu ou à quelqu’un qui nous semble bien près de lui,