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femmes du monde, taxées de frivolité de dureté de cœur, d’égoïsme, pouvaient être des anges. En se souvenant d’avoir été déjà repoussé quand il avait voulu connaître ce cœur céleste, il eut, lui, comme un tremblement dans la voix lorsqu’en prenant la main transparente fluette, à doigts tournés en fuseau de la belle Diane, il lui dit : — Sommes-nous maintenant assez amis pour que vous me disiez ce que vous avez souffert ? Vos anciens chagrins doivent être pour quelque chose dans cette rêverie.

— Oui dit-elle en sifflant cette syllabe comme la plus douce note qu’ait jamais soupirée la flûte de Tulou.

Elle retomba dans sa rêverie et ses yeux se voilèrent. Daniel demeura dans une attente pleine d’anxiété, pénétré de la solennité de ce moment. Son imagination de poète lui faisait voir comme des nuées qui se dissipaient lentement en lui découvrant le sanctuaire où il allait voir aux pieds de Dieu l’agneau blessé.

— Eh ! bien ?… dit-il d’une voix douce et calme.

Diane regarda le tendre solliciteur ; puis elle baissa les yeux lentement en déroulant ses paupières par un mouvement qui décelait la plus noble pudeur. Un monstre seul aurait été capable d’imaginer quelque hypocrisie dans l’ondulation gracieuse par laquelle la malicieuse princesse redressa sa jolie petite tête pour plonger encore un regard dans les yeux avides de ce grand homme.

— Le puis-je ? le dois-je ? fit-elle en laissant échapper un geste d’hésitation et regardant d’Arthez avec une sublime expression de tendresse rêveuse. Les hommes ont si peu de foi pour ces sortes de choses ! ils se croient si peu obligés à la discrétion !

— Ah ! si vous vous défiez de moi pourquoi suis-je ici ? s’écria d’Arthez.

— Eh ! mon ami répondit-elle en donnant à son exclamation la grâce d’un aveu involontaire, lorsqu’elle s’attache pour la vie une femme calcule-t-elle ? Il ne s’agit pas de mon refus (que puis-je vous refuser ?) ; mais de l’idée que vous aurez de moi si je parle. Je vous confierai bien l’étrange situation dans laquelle je suis à mon âge ; mais que penseriez-vous d’une femme qui découvrirait les plaies secrètes du mariage qui trahirait les secrets d’un autre ? Turenne gardait sa parole aux voleurs ; ne dois-je pas à mes bourreaux la probité de Turenne ?

— Avez-vous donné votre parole à quelqu’un ?

— Monsieur de Cadignan n’a pas cru nécessaire de me demander