le besoin est-elle une des plus belles victoires que puissent remporter les courtisans sur eux-mêmes.
La duchesse d’Uxelles avait quarante-cinq ans quand elle maria sa fille au duc de Maufrigneuse, elle assistait donc depuis long-temps sans jalousie et même avec intérêt aux succès de son ancien ami. Au moment du mariage de sa fille et du duc, elle tint une conduite d’une grande noblesse et qui sauva l’immoralité de cette combinaison. Néanmoins, la méchanceté des gens de cour trouva matière à railler, et prétendit que cette belle conduite ne coûtait pas grand’chose à la duchesse, quoique depuis cinq ans environ elle se fut adonnée à la dévotion et au repentir des femmes qui ont beaucoup à se faire pardonner.
Pendant plusieurs jours la princesse se montra de plus en plus remarquable par ses connaissances en littérature. Elle abordait avec une excessive hardiesse les questions les plus ardues, grâce à des lectures diurnes et nocturnes poursuivies avec une intrépidité digne des plus grands éloges. D’Arthez, stupéfait et incapable de soupçonner que Diane d’Uxelles répétait le soir ce qu’elle avait lu le matin, comme font beaucoup d’écrivains, la tenait pour une femme supérieure. Ces conversations éloignaient Diane du but, elle essaya de se retrouver sur le terrain des confidences d’où son amant s’était prudemment retiré ; mais il ne lui fut pas très-facile d’y faire revenir un homme de cette trempe une fois effarouché. Cependant, après un mois de campagnes littéraires et de beaux discours platoniques, d’Arthez s’enhardit et vint tous les jours à trois heures. Il se retirait à six heures, et reparaissait le soir à neuf heures, pour rester jusqu’à minuit ou une heure du matin, avec la régularité d’un amant plein d’impatience. La princesse se trouvait habillée avec plus ou moins de recherche à l’heure où d’Arthez se présentait. Cette mutuelle fidélité, les soins qu’ils prenaient d’eux-mêmes, tout en eux exprimait des sentiments qu’ils n’osaient s’avouer, car la princesse devinait à merveille que ce grand enfant avait peur d’un débat autant qu’elle en avait envie. Néanmoins d’Arthez mettait dans ses constantes déclarations muettes un respect qui plaisait infiniment à la princesse. Tous deux se sentaient chaque jour d’autant plus unis que rien de convenu ni de tranché ne les arrêtait dans la marche de leurs idées, comme lorsque, entre amants, il y a d’un côté des demandes formelles, et de l’autre une défense ou sincère ou coquette. Semblable à tous les hommes plus jeunes que leur âge