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fille en premières noces, et auquel il rendit difficilement ses comptes. Le duc de Maufrigneuse avait eu des liaisons avec la duchesse d’Uxelles. Vers 1814, au moment où monsieur de Maufrigneuse atteignait à trente-six ans, la duchesse le voyant pauvre mais très-bien en cour, lui donna sa fille qui possédait environ cinquante ou soixante mille livres de rente, sans ce qu’elle devait attendre d’elle. Mademoiselle d’Uxelles devenait ainsi duchesse, et sa mère savait qu’elle aurait vraisemblablement la plus grande liberté. Après avoir eu le bonheur inespéré de se donner un héritier, le duc laissa sa femme entièrement libre de ses actions, et alla s’amuser de garnison en garnison, passant les hivers à Paris, faisant des dettes que son père payait toujours, professant la plus entière indulgence conjugale, avertissant la duchesse huit jours à l’avance de son retour à Paris, adoré de son régiment, aimé du Dauphin, courtisan adroit, un peu joueur, d’ailleurs sans aucune affectation : jamais la duchesse ne put lui persuader de prendre une fille d’Opéra par décorum et par égard pour elle, disait-elle plaisamment. Le duc, qui avait la survivance de la Charge de son père, sut plaire aux deux rois, à Louis XVIII et à Charles X, ce qui prouve qu’il tirait assez bon parti de sa nullité ; mais cette conduite, cette vie, tout était recouvert du plus beau vernis : langage, noblesse de manières, tenue offraient en lui la perfection ; enfin les Libéraux l’aimaient. Il lui fut impossible de continuer les Cadignan qui, selon le vieux prince, étaient connus pour ruiner leurs femmes, car la duchesse mangea elle-même sa fortune. Ces particularités devinrent si publiques dans le monde de la cour et dans le faubourg Saint-Germain, que, pendant les cinq dernières années de la Restauration, on se serait moqué de quelqu’un qui en aurait parlé, comme s’il eût voulu raconter la mort de Turenne ou celle de Henri IV. Aussi, pas une femme ne parlait-elle de ce charmant duc sans en faire l’éloge : il avait été parfait pour sa femme, il était difficile à un homme de se montrer aussi bien que Maufrigneuse pour la duchesse, il lui avait laissé la libre disposition de sa fortune, il l’avait défendue et soutenue en toute occasion. Soit orgueil, soit bonté, soit chevalerie, monsieur de Maufrigneuse avait sauvé la duchesse en bien des circonstances où toute autre femme eût péri, malgré son entourage, malgré le crédit de la vieille duchesse d’Uxelles, du duc de Navarreins, de son beau-père et de la tante de son mari. Aujourd’hui le prince de Cadignan passe pour un des beaux caractères de l’Aristocratie. Peut-être la fidélité dans