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qui passent aujourd’hui pour les folies de madame de Maufrigneuse, et que je ne pourrai jamais expliquer, car il n’y a que mon fils et Dieu qui me connaîtront jamais.

Ces paroles, soufflées à l’oreille de l’écouteur de manière à être dérobées à la connaissance des convives, et avec un accent digne de la plus habile comédienne, devaient aller au cœur ; aussi atteignirent-elles à celui de d’Arthez. Il ne s’agissait point de l’écrivain célèbre, cette femme cherchait à se réhabiliter en faveur d’un mort. Elle avait pu être calomniée, elle voulait savoir si rien ne l’avait ternie aux yeux de celui qui l’aimait. Était-il mort avec toutes ses illusions ?

— Michel, répondit d’Arthez, était un de ces hommes qui aiment d’une manière absolue, et qui, s’ils choisissent mal, peuvent en souffrir sans jamais renoncer à celle qu’ils ont élue.

— Étais-je donc aimée ainsi ?… s’écria-t-elle d’un air de béatitude exaltée.

— Oui, madame.

— J’ai donc fait son bonheur ?

— Pendant quatre ans.

— Une femme n’apprend jamais une pareille chose sans éprouver une orgueilleuse satisfaction, dit-elle en tournant son doux et noble visage vers d’Arthez par un mouvement plein de confusion pudique.

Une des plus savantes manœuvres de ces comédiennes est de voiler leurs manières quand les mots sont trop expressifs, et de faire parler les yeux quand le discours est restreint. Ces habiles dissonances, glissées dans la musique de leur amour faux ou vrai, produisent d’invincibles séductions.

— N’est-ce pas, reprit-elle en abaissant encore la voix et après s’être assurée d’avoir produit de l’effet, n’est-ce pas avoir accompli sa destinée que de rendre heureux, et sans crime, un grand homme ?

— Ne vous l’a-t-il pas écrit ?

— Oui, mais je voulais en être bien sûre, car, croyez-moi, monsieur, en me mettant si haut, il ne s’est pas trompé.

Les femmes savent donner à leurs paroles une sainteté particulière, elles leur communiquent je ne sais quoi de vibrant qui étend le sens des idées et leur prête de la profondeur ; si plus tard leur auditeur charmé ne se rend pas compte de ce qu’elles ont dit, le but a été complétement atteint, ce qui est le propre de l’éloquence. La princesse aurait en ce moment porté le diadème de la France,