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PRÉFACE


Il est difficile à l’auteur d’une pièce de théâtre de se replacer, à cinquante jours de distance, dans la situation où il était le lendemain de la première représentation de son ouvrage ; mais il est maintenant d’autant plus difficile d’écrire la préface de Vautrin, que tout le monde a fait la sienne ; celle de l’auteur serait infailliblement inférieure à tant de pensées divergentes. Un coup de canon ne vaudra jamais un feu d’artifice.

L’auteur expliquerait-il son œuvre ? Mais elle ne pouvait avoir que M. Frédérick-Lemaitre pour commentateur.

Se plaindrait-il de la défense qui arrête la représentation de son drame ? Mais il ne connaitrait donc ni son temps ni son pays. L’arbitraire est le péché mignon des gouvernements constitutionnels ; c’est leur infidélité à eux ; et d’ailleurs, ne sait-il pas qu’il n’y a rien de plus cruel que les faibles ? À ce gouvernement-ci, comme aux enfants, il est permis de tout faire, excepté le bien et une majorité.

Irait-il prouver que Vautrin est un drame innocent autant qu’une pièce de Berquin ? Mais traiter la question de la moralité ou de l’immoralité du théâtre, ne serait-ce pas se mettre au-dessous des Prudhomme qui en font une question ?

S’en prendrait-il au journalisme ? Mais il ne peut que le féliciter d’avoir justifié par sa conduite, en cette circonstance, tout ce qu’il en a dit ailleurs.

Cependant, au milieu de ce désastre que l’énergie du gouvernement a causé, mais que, dit-on, le fer d’un coiffeur aurait pu réparer, l’auteur a trouvé quelques compensations dans les preuves d’intérêt qui lui ont été données. Entre tous, M. Victor Hugo s’est montré aussi serviable qu’il est grand poète ; et l’auteur est d’autant plus heureux de publier combien il fut obligeant, que les ennemis de M. Hugo ne se font pas faute de calomnier son caractère.

Enfin, Vautrin a presque deux mois, et dans la serre parisienne, une nouveauté de deux mois prend deux siècles. La véritable et meilleure préface de Vautrin sera donc le drame de Richard-cœur-d’Éponge[1], que l’administration permet de représenter, afin de ne pas laisser les rats occuper exclusivement les planches si fécondes du théâtre de la Porte-Saint-Martin.

Paris, 1er mai 1840.
  1. Cette pièce n’a été ni représentée ni imprimée.