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RAOUL.

Voulez-vous savoir ce que je pensais ?… Mais non, ce serait accuser mon bienfaiteur.

VAUTRIN.

Ton bienfaiteur ! tu m’insultes. T’ai-je offert mon sang, ma vie ? suis-je prêt à tuer, à assassiner ton ennemi, pour recevoir de toi cet intérêt exorbitant appelé reconnaissance ? Pour t’exploiter, suis-je un usurier ? Il y a des hommes qui vous attachent un bienfait au cœur, comme on attache nu boulet au pied des… suffit ! ces hommes-là, je les écraserais comme des chenilles sans croire commettre un homicide ! Je t’ai prié de m’adopter pour ton père, mon cœur doit être pour toi ce que le ciel est pour les anges, un espace où tout est bonheur et confiance ; tu peux me dire toutes tes pensées, même les mauvaises. Parle, je comprends tout, même une lâcheté.

RAOUL.

Dieu et Satan se sont entendus pour fondre ce bronze-là !

VAUTRIN.

C’est possible.

RAOUL.

Je vais tout te dire.

VAUTRIN.

Eh bien ! mon enfant, asseyons-nous.

RAOUL.

Tu as été cause de mon opprobre et de mon désespoir.

VAUTRIN.

Où ? quand ? Sang d’un homme ! qui t’a blessé ? qui t’a manqué ? Dis le lieu, nomme les gens… la colère de Vautrin passera par là !

RAOUL.

Tu ne peux rien.

VAUTRIN.

Enfant, il y a deux espèces d’hommes qui peuvent tout.

RAOUL.

Et qui sont ?

VAUTRIN.

Les rois, qui sont ou doivent être au-dessus des lois ; et… tu vas te fâcher… les criminels, qui sont au-dessous.

RAOUL.

Et comme tu n’es pas roi…

VAUTRIN.

Eh bien ! je règne en dessous.