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abus de confiance. Permettez-moi de vous dire deux mots à vous seul.

LE DUC, faisant un signe à son fils, qui se retire.

Parlez, Monsieur.

VAUTRIN.

Monsieur le duc, en ce moment, c’est à qui s’agitera pour obtenir des emplois, et cette ambition a gagné toutes les classes. Chacun en France veut être colonel, et je ne sais ni où, ni comment on y trouve des soldats. Vraiment, la société tend à une dissolution prochaine, qui sera causée par cette aptitude générale pour les hauts grades et par ce dégoût pour l’infériorité. Voilà le fruit de l’égalité révolutionnaire. La religion est le seul remède à opposer à cette corruption.

LE DUC.

Où voulez-vous en venir ?

VAUTRIN.

Pardon, il m’a été impossible de ne pas expliquer à l’homme d’État avec lequel je vais travailler la cause d’une méprise qui me chagrine. Avez-vous, monsieur le duc, confié quelques secrets à celui de mes gens qui est venu ce matin à ma place dans la folle pensée de me supplanter et dans l’espoir de se faire connaître de vous en vous rendant service ?

LE DUC.

Comment… vous êtes le chevalier de Saint-Charles ?

VAUTRIN.

Monsieur le duc, nous sommes tout ce que nous voulons être. Ni lui, ni moi n’avons la simplicité d’être nous mêmes… nous y perdrions trop.

LE DUC.

Songez, Monsieur, qu’il me faut des preuves.

VAUTRIN.

Monsieur le duc, si vous lui avez confié quelque secret important, je dois le faire immédiatement surveiller.

LE DUC, à part.

Celui-ci a l’air, en effet, bien plus honnête homme et plus posé que l’autre.

VAUTRIN.

Nous appelons cela de la contre-police.

LE DUC.

Vous auriez dû, Monsieur, ne pas venir ici sans pouvoir justifier vos assertions.