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RAMEL.

T’avoir sous son toit pour te garder elle-même.

FERDINAND.

Elle a réussi, mon cher, à m’y faire venir. J’habite, depuis trois ans, une petite maison près de la fabrique. Si je ne suis pas parti la première semaine, c’est que le second jour de mon arrivée, j’ai senti que je ne pourrais jamais vivre sans Pauline.

RAMEL.

Grâce à cet amour, ta position ici me semble, à moi magistrat, un peu moins laide que je ne le croyais.

FERDINAND.

Ma position ? mais elle est intolérable, à cause des trois caractères au milieu desquels je me trouve pris : Pauline est hardie, comme le sont les jeunes personnes très-innocentes dont l’amour est tout idéal et qui ne voient de mal à rien, dès qu’il s’agit d’un homme de qui elles font leur mari. La pénétration de Gertrude est extrême : nous y échappons par la terreur que cause à Pauline le péril où nous plongerait la découverte de mon nom, ce qui lui donne la force de dissimuler ! Mais Pauline vient à l’instant de refuser Godard.

RAMEL.

Godard, je le connais… C’est, sous un air bête, l’homme le plus fin, le plus curieux de tout le département. Et il est ici ?

FERDINAND.

Il y dîne.

RAMEL.

Méfie-toi de lui.

FERDINAND.

Bien ! Si ces deux femmes, qui ne s’aiment déjà guère, venaient à découvrir qu’elles sont rivales, l’une peut tuer l’autre, je ne sais laquelle : l’une, forte de son innocence, de sa passion légitime l’autre, furieuse de voir se perdre le fruit de tant de dissimulation, de sacrifices, de crimes même… (Napoléon entre.)

RAMEL.

Tu m’effrayes ! moi, procureur du roi. Non, parole d’honneur, les femmes coûtent souvent plus qu’elles ne valent.

NAPOLÉON.

Bon ami ! papa et maman s’impatientent après toi ; ils disent qu’il faut laisser les affaires, et Vernon a parlé d’estomac.