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VERNON, à part.

Cela se dit toujours ainsi, quand on a besoin que le monde le croie.

LE GÉNÉRAL, à Vernon.

Que gromelles-tu là ?

VERNON, à part.

Je dis que j’ai soixante-sept ans, que je suis votre cadet, et que je voudrais être aimé comme cela… (À part.) Pour être sûr que c’est de l’amour.

LE GÉNÉRAL, au docteur.

Envieux ! (À sa femme.) Ma chère enfant, je n’ai pas pour te bénir la puissance de Dieu, mais je crois qu’il me la prête pour t’aimer.

VERNON.

Vous oubliez que je suis médecin, mon cher ami ; c’est bon pour un refrain de romance, ce que vous dites à madame.

GERTRUDE.

Il y a des refrains de romance, docteur, qui sont très-vrais.

LE GÉNÉRAL.

Docteur, si tu continues à taquiner ma femme, nous nous brouillerons : un doute sur ce chapitre est une insulte.

VERNON.

Je n’ai aucun doute. (Au général.) Seulement, vous avez aimé tant de femmes avec la puissance de Dieu, que je suis en extase, comme médecin, de vous voir toujours si bon chrétien, à soixante-dix ans. (Gertrude se dirige doucement vers le canapé où est assis le docteur.)

LE GÉNÉRAL.

Chut ! les dernières passions, mon ami, sont les plus puissantes.

VERNON.

Vous avez raison. Dans la jeunesse, nous aimons avec toutes nos forces qui vont en diminuant, tandis que dans la vieillesse nous aimons avec notre faiblesse qui va, qui va grandissant.

LE GÉNÉRAL.

Méchant philosophe !

GERTRUDE, à Vernon.

Docteur, pourquoi, vous, si bon, essayez-vous de jeter des doutes dans le cœur de Grandchamp ?… Vous savez qu’il est d’une jalousie à tuer sur un soupçon. Je respecte tellement ce sentiment que j’ai fini par ne plus voir que vous, M. le maire et M. le curé. Voulez-vous que je renonce encore à votre société, qui nous est si douce, si agréable ?… Ah ! voilà Napoléon.