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LE MARQUIS.

En toute autre chose, mon père, vos paroles seraient des arrêts pour moi, mais chaque époque a son art d’aimer… Je vous en conjure, hâtez mon mariage. Inès est volontaire comme une fille unique, et la complaisance avec laquelle elle accueille l’amour d’un aventurier doit vous inquiéter. En vérité, vous êtes ce matin d’une froideur inconcevable. Mettez à part mon amour pour Inès, puis-je rencontrer mieux ? Je serai, comme vous l’êtes, grand d’Espagne, et de plus je serai prince. En seriez-vous donc fâché, mon père ?

LE DUC, à part

Le sang de sa mère reparaîtra donc toujours ! Oh ! Louise a bien su deviner où je suis blessé (Haut.) Songez, Monsieur, qu’il n’y a rien au-dessus du glorieux titre de duc de Montsorel.

LE MARQUIS.

Vous aurais-je offensé ?

LE DUC.

Assez ! Vous oubliez que j’ai ménagé ce mariage dès mon séjour en Espagne. D’ailleurs, madame de Christoval ne peut pas marier Inès sans le consentement du père. Le Mexique vient de proclamer son indépendance, et cette révolution explique assez le retard de la réponse.

LE MARQUIS.

Eh bien ! mon père, vos projets seront déjoués. Vous n’avez donc pas vu hier ce qui s’est passé chez l’ambassadeur d’Espagne ? Ma mère y a protégé visiblement ce Raoul de Frescas, Inès lui en a su gré. Savez-vous la pensée longtemps contenue en moi et qui s’est fait jour alors ? c’est que ma mère me hait ! Et, je ne puis le dire qu’à vous, mon père, à vous que j’aime, j’ai peur qu’il n’y ait rien là pour elle.

LE DUC, à part

le recueille donc ce que j’ai semé on se devine pour la haine aussi bien que pour l’amour ! (Au marquis.) Mon fils, vous ne devez pas juger votre mère, vous ne pouvez pas la comprendre. Elle a vu chez moi pour vous une tendresse aveugle, elle tâche d’y remédier par sa sévérité. Que je n’entende pas une seconde fois semblables paroles, et brisons là ! Vous êtes aujourd’hui de service au château, allez-y promptement : j’obtiendrai une permission pour ce soir, et vous serez libre d’aller au bal retrouver princesse d’Arjos.