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Scène XVI.

FAUSTINE, FONTANARÈS.
FAUSTINE, à part.

Il est là, debout comme un homme devant un précipice et poursuivi par des tigres. (Haut.) Pourquoi n’êtes-vous pas aussi grand que votre pensée ? N’y a-t-il donc qu’une femme dans le monde ?

FONTANARÈS.

Eh ! croyez-vous, Madame, qu’un homme arrache un pareil amour de son cœur, comme une épée de son fourreau ?

FAUSTINE.

Qu’une femme vous aime et vous serve, je le conçois. Mais aimer, pour vous, c’est abdiquer. Tout ce que les plus grands hommes ont tous et toujours souhaité : la gloire, les honneurs, la fortune, et plus que tout cela !… une souveraineté au-dessus des renversements populaires, celle du génie ; voilà le monde des César, des Lucullus et des Luther devant vous !… Et vous avez mis entre vous et cette magnifique existence, un amour digne d’un étudiant d’Alcala. Né géant, vous vous faites nain à plaisir. Mais un homme de génie a, parmi toutes les femmes, une femme spécialement créée pour lui. Cette femme doit être une reine aux yeux du monde, et pour lui une servante, souple comme les hasards de sa vie, gaie dans les souffrances, prévoyante dans le malheur comme dans la prospérité ; surtout indulgente à ses caprices, connaissant le monde et ses tournants périlleux ; capable enfin de ne s’asseoir dans le char triomphal qu’après l’avoir, s’il le faut traîné…

FONTANARÈS.

Vous avez fait son portrait.

FAUSTINE.

De qui ?

FONTANARÈS.

De Marie.

FAUSTINE.

Cette enfant t’a-t-elle su défendre ? A-t-elle deviné sa rivale ? Celle qui t’a laissé conquérir est-elle digne de te garder ? Une enfant qui s’est laissée mener pas à pas à l’autel où elle se donne en ce moment… Mais, moi, je serais déjà morte à tes pieds ! Et à qui