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LA DUCHESSE.

Il y est habitué.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Vous ne pouvez être mauvaise mère ?

LA DUCHESSE.

Mauvaise mère ? Non. (Elle réfléchit.) Je ne puis me résoudre a perdre votre affection. (Elle l’attire à elle.) Albert n’est pas mon fils.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Un étranger a usurpé la place, le nom, le titre, les biens du véritable enfant ?

LA DUCHESSE.

Étranger, non. C’est son fils. Après la fatale nuit où Fernand me fut enlevé, il y eut entre le duc et moi une séparation éternelle. La femme était aussi cruellement outragée que la mère. Mais il me vendit encore ma tranquillité.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Je n’ose comprendre.

LA DUCHESSE.

Je me suis prêtée à donner comme de moi cet Albert, l’enfant d’une courtisane espagnole. Le duc voulait un héritier. À travers les secousses que la révolution française causait à l’Espagne, cette supercherie n’a jamais été soupçonnée. Et vous ne voulez pas que tout mon sang bouillonne à la vue du fils de l’étrangère qui occupe la place de l’enfant légitime !

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Voilà que j’embrasse vos espérances. Ah ! je voudrais que vous eussiez raison, et que ce jeune homme fût votre fils. Eh bien ! qu’avez-vous ?

LA DUCHESSE.

Mais il est perdu, je l’ai signalé à son père, qui va le… Oh ! mais, que faisons-nous donc là ? Je veux savoir où il demeure, aller lui dire de ne pas venir demain matin ici.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Sortir à cette heure, Louise, êtes-vous folle ?

LA DUCHESSE.

Venez ! car il faut le sauver à tout prix.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Qu’allez-vous faire ?

LA DUCHESSE.

Aucune de nous deux ne pourra sortir demain sans être obser-