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mot me dit assez que vous ne reculerez pas devant un scandale qui nous couvrira tous de honte. Irons-nous dérouler devant les tribunaux un passé qui ne me laisse pas sans reproche, mais où vous êtes infâme ? (Il se tourne vers mademoiselle de Vaudrey.) Elle ne vous a sans doute pas tout dit, ma tante ? Elle aimait le vicomte de Langeac, je le savais, je respectais cet amour, j’étais si jeune ! Le vicomte vint à moi : sans espoir de fortune, le dernier des enfants de sa maison, il prétendit renoncer à Louise de Vaudrey pour elle-même. Confiant dans leur mutuelle noblesse, je l’accepte pure de ses mains. Ah ! j’aurais donné ma vie pour lui, je l’ai prouvé. Le misérable fait, au 10 août, des prodiges de valeur qui le signalent à la rage du peuple ; je le confie à l’un de mes gens ; il est découvert, mis à l’Abbaye. Quand je le sais là, tout l’or destiné à notre fuite, je le donne à ce Boulard, que je décide à se mêler aux septembriseurs pour arracher le vicomte à la mort, je le sauve ! (À madame de Montsorel.) Et il a bien payé sa dette, n’est-ce pas madame ? Jeune, ivre d’amour, violent, je n’ai pas écrasé cet enfant ! Vous me récompensez aujourd’hui de ma pitié comme votre amant m’a récompensé de ma confiance. Eh bien ! voici les choses au point où elles en étaient, il y a vingt ans — moins la pitié. Et je vous dirai comme autrefois : Oubliez votre fils, il vivra.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Et ses souffrances pendant vingt ans, ne les comptez-vous pour rien ?

LE DUC.

La grandeur du repentir accuse la grandeur de la faute.

LA DUCHESSE.

Ah ! si vous prenez mes douleurs pour des remords, je vous crierai pour la seconde fois je suis innocente ! Non, Monsieur, Langeac n’a pas trahi votre confiance ; il n’allait pas mourir seulement pour son roi, et depuis le jour fatal où il me fit ses adieux en renonçant à moi, je ne l’ai jamais revu.

LE DUC.

Vous avez acheté la vie de votre fils en me disant le contraire.

LA DUCHESSE.

Un marché conseillé par la terreur peut-il compter pour un aveu ?

LE DUC.

Me donnez-vous cet acte de naissance ?

LA DUCHESSE.

Je ne l’ai plus.