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toute sorcellerie, est amoureux fou, d’abord de la gloire de Votre Majesté, puis d’une fille de Barcelone, héritière de Lothundiaz, le plus riche bourgeois de la ville. Comme il avait ramassé plus de science que de richesse en étudiant les sciences naturelles en Italie, le pauvre garçon ne pouvait réussir à épouser cette fille que couvert de gloire et d’or… Et voyez, Sire, comme on calomnie les grands hommes : il fit, dans son désespoir, un pèlerinage à Notre-Dame-del-Pilar, pour la prier de l’assister, parce que celle qu’il aime se nomme Marie. Au sortir de l’église, il s’assit fatigué, sous un arbre, s’endormit, la madone lui apparut et lui conseilla cette invention de faire marcher les vaisseaux sans voiles, sans rames, contre vent et marée. Il est venu vers vous, Sire : on s’est mis entre le soleil et lui, et après une lutte acharnée avec les nuages, il expie sa croyance en Notre-Dame-del-Pilar et en son roi. Il ne lui reste que son valet assez courageux pour venir mettre à vos pieds l’avis qu’il existe un moyen de réaliser la domination universelle.

PHILIPPE II.

Je verrai ton maître au sortir de la chapelle.

LE GRAND INQUISITEUR.

Le roi ne court-il pas des dangers ?

PHILIPPE II.

Mon devoir est de l’interroger.

LE GRAND INQUISITEUR.

Le mien est de faire respecter les priviléges du saint-office.

PHILIPPE II.

Je les connais. Obéis et tais-toi. Je te dois un otage, je le sais… (Il regarde.) Où donc est le duc d’Olmédo ?

QUINOLA, à part.

Aïe ! aïe !

LA MARQUISE, à part.

Nous sommes perdus.

LE CAPITAINE DES GARDES.

Sire, le duc n’est pas encore… arrivé…

PHILIPPE II.

Qui lui a donné la hardiesse de manquer aux devoirs de sa charge ? (À part.) Il me semble que l’on me trompe. (Au capitaine des gardes.) Tu lui diras, s’il arrive, que le roi l’a commis à la garde d’un prisonnier du saint-office. (Au grand inquisiteur.) Donnez un ordre.

LE GRAND INQUISITEUR.

Sire, j’irai moi-même.