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LA DUCHESSE.

Un enfant mort a une tombe dans le cœur de sa mère ; mais l’enfant qu’on nous a dérobé, il y existe, ma tante.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Si l’on vous entendait ?

LA DUCHESSE.

Eh ! que m’importe ! Je commence une nouvelle vie, et me sens pleine de force pour résister à la tyrannie de M. de Montsorel.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Après vingt-deux années de larmes, sur quel événement peut se fonder cette espérance ?

LA DUCHESSE.

C’est plus qu’une espérance ! Après la réception du roi, je suis allée chez l’ambassadeur d’Espagne, qui devait nous présenter l’une à l’autre, madame de Christoval et moi : j’ai vu là un jeune homme qui me ressemble, qui a ma voix ! Comprenez-vous ? Si je suis rentrée si tard, c’est que j’étais clouée dans ce salon, je n’en ai pu sortir que quand il est parti.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Et sur ce faible indice, vous vous exaltez ainsi !

LA DUCHESSE.

Pour une mère, une révélation n’est-elle pas le plus grand des témoignages ? À son aspect, il m’a passé comme une flamme devant les yeux, ses regards ont ranimé ma vie, et je me suis sentie heureuse. Enfin, s’il n’était pas mon fils, ce serait une passion insensée !

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Vous vous serez perdue !

LA DUCHESSE.

Oui, peut-être ! On a dû nous observer : une force irrésistible m’entrainait ; je ne voyais que lui, je voulais qu’il me parlât, et il m’a parlé, et j’ai su son âge : il a vingt-trois ans, l’âge de Fernand !

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Mais le duc était là ?

LA DUCHESSE.

Ai-je pu songer à mon mari ? J’écoutais ce jeune homme, qui parlait à Inès. Je crois qu’ils s’aiment.

MADEMOISELLE DE VAUDREY.

Inès, la prétendue de votre fils le marquis ? Et pensez-vous que le duc n’ait pas été frappé de cet accueil fait à un rival de son fils ?