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ciergerie à nos cabinets, on passe par des corridors, par des cours, par des escaliers. L’attention de nos agents n’est pas perpétuelle, tandis que le détenu pense toujours à son affaire.

— Il s’est trouvé, m’a-t-on dit, une dame déjà sur le passage de Jacques Collin, quand il est sorti du secret pour être interrogé. Cette femme est venue jusqu’au poste des gendarmes, en haut du petit escalier de la Souricière, les huissiers me l’ont dit, et j’ai grondé les gendarmes à ce sujet.

— Oh ! le palais est à reconstruire en entier, dit monsieur de Grandville ; mais c’est une dépense de vingt à trente millions !… Allez donc demander trente millions aux Chambres pour les convenances de la Justice.

On entendit le pas de plusieurs personnes et le son des armes. Ce devait être Jacques Collin.

Le procureur général mit sur sa figure un masque de gravité sous lequel l’homme disparut. Camusot imita le chef du parquet.

En effet, le garçon de bureau du cabinet ouvrit la porte, et Jacques Collin se montra, calme et sans aucun étonnement.

— Vous avez voulu me parler, dit le magistrat, je vous écoute.

— Monsieur le comte, je suis Jacques Collin, je me rends !

Camusot tressaillit, le procureur général resta calme.

— Vous devez penser que j’ai des motifs pour agir ainsi, reprit Jacques Collin en étreignant les deux magistrats par un regard railleur. Je dois vous embarrasser énormément ; car en restant prêtre espagnol, vous me faites reconduire par la gendarmerie jusqu’à la frontière de Bayonne, et là, des baïonnettes espagnoles vous débarrasseraient de moi !

Les deux magistrats demeurèrent impassibles et silencieux.

— Monsieur le comte, reprit le forçat, les raisons qui me font agir ainsi sont encore plus graves que celles-ci, quoiqu’elles me soient diablement personnelles ; mais je ne puis les dire qu’à vous… Si vous aviez peur…

— Peur de qui ? de quoi ? dit le comte de Grandville. L’attitude, la physionomie, l’air de tête, le geste, le regard, firent en ce moment de ce grand procureur général une vivante image de la Magistrature, qui doit offrir les plus beaux exemples de courage civil. Dans ce moment si rapide, il fut à la hauteur des vieux magistrats de l’ancien parlement, au temps des guerres civiles où les prési-