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— Eh bien ! monsieur le comte, dit Camusot, achevons notre ouvrage. Il nous reste un prévenu bien dangereux. C’est, vous le savez aussi bien que moi, Jacques Collin. Ce misérable sera reconnu pour ce qu’il est…

— Nous sommes perdus ! s’écria monsieur de Grandville.

— Il est en ce moment auprès de votre condamné à mort, qui fut jadis au bagne pour lui ce que Lucien était à Paris… son protégé ! Bibi-Lupin s’est déguisé en gendarme pour assister à l’entrevue.

— De quoi se mêle la police judiciaire ? dit le orocureur général, elle ne doit agir que par mes ordres !…

— Toute la Conciergerie saura que nous tenons Jacques Collin… Eh bien ! je viens vous dire que ce grand et audacieux criminel doit posséder les lettres les plus dangereuses de la correspondance de madame de Sérisy, de la duchesse de Maufrigneuse et de mademoiselle Clotilde de Grandlieu.

— Êtes-vous sûr de cela ?… demanda monsieur de Grandville en laissant voir sur sa figure une douloureuse surprise.

— Jugez, monsieur le comte, si j’ai raison de craindre ce malheur. Quand j’ai développé la liasse des lettres saisies chez cet infortuné jeune homme, Jacques Collin y a jeté un coup d’œil incisif, et a laissé échapper un sourire de satisfaction, à la signification duquel un juge d’instruction ne pouvait pas se tromper. Un scélérat aussi profond que Jacques Collin se garde bien de lâcher de pareilles armes. Que dites-vous de ces documents entre les mains d’un défenseur que le drôle choisira parmi les ennemis du gouvernement et de l’aristocratie ? Ma femme, pour laquelle la duchesse de Maufrigneuse a des bontés, est allée la prévenir, et, dans ce moment, elles doivent être chez les Grandlieu à tenir conseil…

— Le procès de cet homme est impossible ! s’écria le procureur général en se levant et parcourant son cabinet à grands pas. Il aura mis les pièces en lieu de sûreté…

— Je sais où, dit Camusot. Par ce seul mot, le juge d’instruction effaça toutes les préventions que le procureur général avait conçues contre lui.

— Voyons !… dit monsieur de Grandville en s’asseyant.

— En venant de chez moi au Palais, j’ai bien profondément réfléchi à cette désolante affaire. Jacques Collin a une tante, une tante naturelle et non artificielle, une femme sur le compte de la-