Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1855, tome 18.djvu/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Madame de Sérizy a pris mes procès-verbaux et les a jetés au feu !

— En voilà une femme ! bravo ! s’écria madame Camusot.

— Madame de Sérizy m’a dit qu’elle ferait sauter le Palais plutôt que de laisser un jeune homme, qui avait eu les bonnes grâces de la duchesse de Maufrigneuse et les siennes, aller sur les bancs de la cour d’assises en compagnie d’un forçat !…

— Mais Camusot, dit Amélie, en ne pouvant pas retenir un sourire de supériorité, ta position est superbe…

— Ah ! oui, superbe !

— Tu as fait ton devoir…

— Mais malheureusement, et malgré l’avis jésuitique de monsieur de Grandville, qui m’a rencontré sur le quai Malaquais…

— Ce matin ?

— Ce matin !

— À quelle heure ?

— À neuf heures.

— Oh ! Camusot ! dit Amélie en joignant ses mains et les tordant, moi qui ne cesse de te répéter de prendre garde à tout… Mon Dieu, ce n’est pas un homme, c’est une charrette de moellons que je traîne !… Mais, Camusot, ton procureur général t’attendait au passage, il a dû te faire des recommandations.

— Mais oui…

— Et tu ne l’as pas compris ! Si tu es sourd, tu resteras toute ta vie juge d’instruction sans aucune espèce d’instruction. Aie donc l’esprit de m’écouter ! dit-elle en faisant taire son mari qui voulut répondre. Tu crois l’affaire finie ? dit Amélie.

Camusot regarda sa femme de l’air qu’ont les paysans devant un charlatan.

— Si la duchesse de Maufrigneuse et la comtesse de Sérizy sont compromises, tu dois les avoir toutes deux pour protectrices, reprit Amélie. Voyons ? madame d’Espard obtiendra pour toi du garde des sceaux une audience où tu lui donneras le secret de l’affaire, et il en amusera le roi ; car tous les souverains aiment à connaître l’envers des tapisseries, et savoir les véritables motifs des événements que le public regarde passer bouche béante. Dès lors, ni le procureur général, ni monsieur de Sérizy ne seront plus à craindre…

— Quel trésor qu’une femme comme toi ! s’écria le juge en reprenant courage. Après tout, j’ai débusqué Jacques Collin, je vais l’envoyer rendre ses comptes en cour d’assises, je dévoilerai ses