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au secret, dans le temps voulu par la loi !… Il fallait bien lui demander quelque chose à ce petit malheureux, qui n’a pas compris qu’on le questionnait pour la forme, et il a fait tout de suite des aveux…

— C’était un sot et un impertinent ! dit sèchement madame d’Espard.

La femme du juge garda le silence en entendant cet arrêt.

— Si nous avons succombé dans l’interdiction de monsieur d’Espard, ce n’est pas la faute de Camusot, je m’en souviendrai toujours ! reprit la marquise après une pause… C’est Lucien, messieurs de Sérisy, Bauvan et de Grandville qui nous ont fait échouer. Avec le temps, Dieu sera pour moi ! Tous ces gens-là seront malheureux. Soyez tranquille, je vais envoyer le chevalier d’Espard chez le garde des sceaux pour qu’il se hâte de faire venir votre mari, si c’est utile…

— Ah ! Madame…

— Écoutez ! dit la marquise, je vous promets la décoration de la Légion-d’Honneur immédiatement, demain ! Ce sera comme un éclatant témoignage de satisfaction pour votre conduite dans cette affaire. Oui, c’est un blâme de plus pour Lucien, ça le dira coupable ! On se pend rarement pour son plaisir… Allons, adieu, chère belle !

Madame Camusot, dix minutes après, entrait dans la chambre à coucher de la belle Diane de Maufrigneuse, qui, couchée à une heure du matin, ne dormait pas encore à neuf heures.

Quelque insensibles que soient les duchesses, ces femmes, dont le cœur est en stuc, ne voient pas l’une de leurs amies en proie à la folie sans que ce spectacle ne leur fasse une impression profonde.

Puis, les liaisons de Diane et de Lucien, quoique rompues depuis dix-huit mois, avaient laissé dans l’esprit de la duchesse assez de souvenirs pour que la funeste mort de cet enfant lui portât à elle aussi des coups terribles. Diane avait vu pendant toute la nuit ce beau jeune homme, si charmant, si poétique, qui savait si bien aimer, pendu comme le dépeignait Léontine dans les accès et avec les gestes de la fièvre chaude. Elle gardait de Lucien d’éloquentes, d’enivrantes lettres, comparables à celles écrites par Mirabeau à Sophie, mais plus littéraires, plus soignées, car ces lettres avaient été dictées par la plus violente des passions, la vanité ! Posséder la plus ravissante des duchesses, la voir faisant des folies pour lui,