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Semblable aux grands généraux, Trompe-la-Mort connaissait admirablement bien le personnel de toutes les troupes.

— C’est elle-même, dit La Pouraille excessivement flatté.

— Jolie femme ! dit Jacques Collin qui s’entendait admirablement à manœuvrer ces machines terribles. La largue est fine ! elle a de grandes connaissances et beaucoup de probité ! c’est une voleuse finie. Ah ! tu t’es retrempé dans la Gonore ! c’est bête de se faire terrer quand on tient une pareille largue. Imbécile ! Il fallait prendre un petit commerce honnête, et vivoter !… Et que goupine-t-elle ?

— Elle est établie rue Sainte-Barbe, elle gère une maison…

— Ainsi, tu l’institues ton héritière ? Voilà, mon cher, où nous mènent ces gueuses-là, quand on a la bêtise de les aimer…

— Oui, mais ne lui donne rien qu’après ma culbute !

— C’est sacré, dit Jacques Collin d’un ton sérieux. Rien aux fanandels ?

— Rien, ils m’ont servi, répondit haineusement La Pouraille.

— Qui t’a vendu ? Veux-tu que je te venge, demanda vivement Jacques Collin en essayant de réveiller le dernier sentiment qui fasse vibrer ces cœurs au moment suprême. Qui sait, mon vieux fanandel, si je ne pourrais pas, tout en te vengeant, faire ta paix avec la Cigogne ?

Là, l’assassin regarda son dab d’un air hébété de bonheur.

— Mais, répondit le dab à cette expression de physionomie parlante, je ne joue en ce moment la mislocq que pour Théodore. Après le succès de ce vaudeville, mon vieux, pour un de mes amis, car tu es des miens, toi ! je suis capable de bien des choses.

— Si je te vois seulement faire ajourner la cérémonie pour ce pauvre petit Théodore, tiens, je ferai tout ce que tu voudras.

— Mais c’est fait, je suis sûr de cromper sa sorbonne des griffes de la Cigogne. Pour se désenflacquer, vois-tu, La Pouraille, il faut se donner la main les uns aux autres… On ne peut rien tout seul…

— C’est vrai ! s’écria l’assassin.

La confiance était si bien établie, et sa foi dans le dab si fanatique, que la Pourraille n’hésita plus.

La Pouraille livra le secret de ses complices, ce secret si bien gardé jusqu’à présent. C’était tout ce que Jacques Collin voulait savoir.